En rompant les liens qui l’unissaient à la Renaissance avant qu’elle ait eu le temps de s’attacher à un Baroque – il est vrai – tout juste naissant, la musique de Frescobaldi (1583-1643) semble comme suspendue entre deux époques. Tiraillé entre le respect des codes issus de son enseignement (polyphonie) et le désir d’explorer de nouvelles voies (modulation, dissonances, contrepoint), son style a pour principale qualité de rendre accessible, sous l’action d’une construction habituellement très mélodieuse, une musique finalement assez complexe. Il suffit de jeter un œil sur la discographie de Liuwe Tamminga et sur les récompenses qui s’y rapportent pour s’apercevoir que notre homme est l’un des plus grands spécialistes du répertoire italien pour orgue des XVIe et XVIIe siècles. À ce titre, l’écoute de ces « Ricercari » ne fait que confirmer son impressionnant palmarès. Fortement imprégné par l’œuvre de Frescobaldi, il lui apporte, outre ses connaissances contextuelles et techniques, le supplément d’âme nécessaire à son épanouissement. À partir d’un jeu maniable et sensuel, les épisodes musicaux s’enchaînent dans la pure tradition du contrepoint (développement des thèmes), avec, en plus, une dimension poétique et un fort sentiment d’improvisation – une autre caractéristique de l’écriture de Frescobaldi – permanents. Effectué en un même lieu, à savoir à la Basilique San Petronio de Bologne, mais à partir de deux orgues différents, cet enregistrement fait appel à notre capacité de gérer nos plus vives émotions, tant la musique du maître italien semble vouloir ici dépasser les caractéristiques naturelles de ces magnifiques instruments. Confronté à de telles richesses, l’auditeur devra néanmoins s’impliquer s’il désire en tirer totalement parti ; le contrepoint n’ayant jamais eu valeur de divertissement, du moins de la manière dont il est traité ici. Pour l’y aider, celui-ci pourra compter alors sur une prise de son claire, dynamique et spacieuse. Nouveau témoignage des liens qui unissent Tamminga à Frescobaldi, ce disque de grande classe est aussi celui d’une musique à la saveur toute particulière, somptueuse et réellement passionnante.
T. HERVÉ - 03/2011
