Attention ! Ce splendide album ne peut échapper à la consécration : celle qui récompense les chefs-d’œuvre et honore la performance, et celle qui récompense l’ambition et la prise de risque. Pourtant, face à une jaquette décidément bien ordinaire, qui aurait pu l’imaginer ? Un label assez confidentiel, des musiciens pas très connus – du moins en France – et bien évidemment, mise à part la Sérénade, op. 8 de Beethoven, un programme pas très racoleur, à priori, pas de quoi déchaîner la frénésie chez les consommateurs. C’est donc à l’intérieur que se cache le trésor, avec notamment le Trio à cordes d’Ysaÿe. Cette pièce, pratiquement jamais jouée, constitue en effet la révélation de ce disque sans concurrence. Nous connaissions le compositeur comme un violoniste expert, ici nous le découvrons comme un prodigieux inventeur. Les presque vingt minutes de cette page pour violon, alto et violoncelle, sonnent à nos oreilles comme autant de moments de purs plaisirs sonores. L’inspiration et la technique instrumentale sont au rendez-vous et propulsent cette partition au niveau des plus importantes du XXe siècle. Très surprenantes sont aussi les deux courtes pièces d’Eisler, tandis que la présence du magistral opus 8 de Beethoven finira de rassurer ceux qui redoutent les programmes trop alternatifs. Les trois instruments sont pris en compte avec la même distinction, grâce en partie à une prise de son remarquable et impartiale. Certes, c’est un disque pour « connaisseurs », mais c’est une telle merveille que pour une fois, oubliez votre modestie naturelle et écoutez-le. Ensuite, je suis certain que vous revendiquerez plus facilement votre science pour le promouvoir à votre tour.

T. HERVÉ - 03/2007