Au gré des parutions discographiques, le répertoire instrumental et vocal de l’Occident médiéval nous est de moins en moins inconnu, mais ce n’est pas pour autant qu’il nous est familier. C’est donc avec un intérêt particulier et plein d’espoir que nous abordons ce programme au contenu musical très intéressant et au reflet culturel bien marqué. Intelligemment mené, le travail opéré par l’ensemble Ioculatores retrace à partir de manuscrits du début du XIVe siècle, la vie de la surprenante Sainte Elisabeth de Hongrie. Avec l’efficace collaboration de deux groupes vocaux, l’un masculin (Amarcord), l’autre féminin (Ars Choralis Coeln), ce concert d’époque associe avec un rare instinct des harmonies et des contrastes, hymnes d’églises et chansons séculières, le tout réveillant avec bonheur la mémoire d’une femme qui, malgré son rang, consacra une bonne partie de sa brève existence au service des pauvres. La cohérence, à la fois libre d’apparence, mais rigoureuse dans l’art de l’instrumentarium, met à profit des compétences vocales exceptionnelles. Sous la conduite d’un narrateur à la voix rassurante et avec la caution spirituelle de plages liturgiques aux accents passionnés, l’écoute des danses et des complaintes se déroule avec un sens de l’accoutumance qui caractérise généralement les réalisations exemplaires. D’autant que Sebastian Pank nous gâte une nouvelle fois avec une prise de son dont il a le secret. Largement conditionnées par l’acoustique de l’Abbaye de Thalbürgel (Allemagne), les voix s’inscrivent dans une perspective spacieuse. Les instruments anciens sont retranscrits avec une précision hallucinante, bien que restant unis dans leur interprétation. Enfin, la transparence confère à cet enregistrement une dimension visuelle que les meilleurs systèmes audio sauront mettre à profit. Alors que des compositeurs tels que Liszt et Wagner ont trouvé en elle une source d’inspiration et que les Parisiens lui ont dédié une église, cette princesse hongroise à la personnalité si attachante mérite amplement que nous consacrions une attention toute particulière à ce disque étonnant.

T. HERVÉ - 12/2007