Mariée successivement à deux Rois de France – à Charles VIII, contre son gré, alors qu’elle n’avait que quinze ans, et à Louis XII, huit ans plus tard –, la duchesse Anne de Bretagne est avec Yves Hélory de Kermartin (dit, plus simplement, Saint Yves) l’un des deux personnages les plus emblématiques de l’histoire de la Bretagne. Si, pour les Français, elle est celle qui favorisa par ses unions le rattachement de la Bretagne à la France (la Bretagne ne sera officiellement rattachée à la France qu’en 1532, soit dix-huit ans après sa mort), dans la mémoire bretonne elle reste avant tout celle qui veilla, toute sa vie durant, au maintien de l’indépendance de son duché. Décédée à Blois le 9 janvier 1514 à seulement trente-sept ans, elle fut honorée par des funérailles d’une ampleur sans précédent. Ainsi, comme nous l’apprend Denis Raisin Dadre – aussi bien à travers son enregistrement que par les commentaires avisés de son livret –, les « déplorations musicales » qui s’ensuivirent furent à la hauteur de la cérémonie : pas moins de quarante jours avant que son inhumation n’ait lieu dans la nécropole des Rois de France à la basilique de Saint-Denis ! Recréée tout spécialement pour ce disque à partir de sources historiques, la Messe de Requiem d’Antoine de Févin s’efforce de traduire la ferveur et l’émotion qui entourèrent ce deuil royal. Spécialiste de la musique de la Renaissance, l’ensemble Doulce Mémoire concilie, selon leur habitude, l’art et la manière. En dépit d’une musique suffisamment grave et solennelle, il s’investit en développant un chant d’une lisibilité remarquable. Ni pompeux, ni oppressant, le climat vocal et instrumental (uniquement des vents) qui s’en dégage est en parfaite adéquation avec une écriture majestueuse teintée de douleur et de fatalité. Harmonieuse et sereine : telle apparaît leur vision des événements. Ainsi, sans concession, mais prodigieusement touchante, la musique de Févin trouve dans leur interprétation un passeport lui permettant d’accéder à la postérité. Entrecoupée par quelques courtes pages de chants traditionnels bretons et complétée par autant de pièces issues du répertoire de plusieurs contemporains de Févin, l’écoute de cette Messe attise notre fibre civique comme peu de musique ont su le faire avant elle. Parole de Breton !
T. HERVÉ - 07/2011