Pour son quatrième disque (le troisième pour le label Lyrinx), Jonathan Gilad nous gratifie d’un somptueux programme russe, généralement très recherché par les jeunes interprètes. Bien que Rachmaninov et Prokofiev fussent contemporains, c’est presque une génération qui les sépare. D’ailleurs, leurs musiques s’en ressentent. Encore tout imprégné de romantisme, le style du premier se caractérise par une introversion palpable, tandis que celui du second, résolument orienté vers l’avenir, s’inscrit dans une démarche beaucoup plus moderne et optimiste. Les deux sonates qui ouvrent ce récital et la Suggestion diabolique qui le terminent en témoignent. Jonathan Gilad parvient sans peine à nous exposer la progression dans le style de l’écriture de Prokofiev. Alors que dans l’unique et très beau mouvement de l’opus 1, l’on est confronté à un compositeur qui se cherche, il est indéniable à l’écoute de l’opus 14 que celui-ci, cinq ans plus tard, a trouvé sa voie. La bride s’est lâchée et il en prend même le mors aux dents. En comparaison, les pièces de Rachmaninov paraissent beaucoup plus stables et l’auditeur trouve plus facilement ses repères. La fougue et l’énergie de son compatriote ont laissé place à l’élégance et à la passion. De ces contrastes, notre interprète tire merveilleusement son épingle du jeu. Bien construit, son programme est intelligent, mais pour être apprécié à sa juste valeur, l’écouteur doit obligatoirement s’impliquer. Pour l’y aider, le piano revêt ses plus beaux atours, notamment de très beaux timbres, une excellente dynamique et beaucoup de vivacité sur les attaques et de subtilité sur les extinctions de notes. Bref, un très beau disque, pédagogique de surcroît.

T. HERVÉ - 12/2007