Le peu d’attention que les mélomanes accordent habituellement aux treize Nocturnes de Fauré est en parfait décalage avec la place enviable qu’ils occupent dans la littérature pour piano. Cependant, l’enregistrement que Charles Owen leur consacre aujourd’hui risque bien de faire évoluer les choses dans le bon sens. S’étendant sur toute la carrière du compositeur, c’est sous l’apparence d’un art bâti entre la résignation et la fermeté qu’ils se présentent aux candidats pianistes ; à eux ensuite, selon leurs possibilités, d’en exprimer les thèmes inspirateurs. Aussi, la première écoute de ce disque suffit amplement à nous faire prendre conscience que Charles Owen dispose du talent nécessaire à cela. Immédiatement perceptible, sans faux-semblant, sa vision contemplative, mais non plaintive de l’œuvre nous place au centre de la sphère fauréenne. Sont présents la sensibilité, la recherche de l’harmonie, l’atmosphère spirituelle avec ses couleurs mordorées, mais aussi la retenue sensuelle, les interrogations soupçonneuses, les allusions fugaces et cette sorte d’ardeur tempérée qui caractérise peut-être le mieux cette musique encore très marquée par le Romantisme, et au-delà l’œuvre de Fauré en général. Du poignant Nocturne n° 1 au véritable cri du cœur qu’est le Nocturne n° 13, tout au long de ces quatre-vingts minutes, le pianiste britannique perce l’impénétrable et nous divulgue la nature essentielle de son auteur. Captées fort brillamment au Henry Wood Hall de Londres par Simon Eadon, ces pièces pour piano sont, de fait, à considérer comme indispensables à toutes discothèques dignes de ce nom.

T. HERVÉ - 11/2008