Qu’ils soient enregistrés partiellement ou, comme c’est ici le cas, dans leur intégralité, les Nocturnes de Chopin ont toujours eu, sur les pianistes autant que sur le public, un immense retentissement. Souvenons-nous-en, il y a de cela quelques années, Pascal Amoyel signait pour le label Calliope un enregistrement qui allait faire la joie d’un grand nombre de mélomanes et, par la même occasion, d’audiophiles (voir ici). Si sa sensibilité hors normes lui permettait d’atteindre l’exceptionnel, de la même façon, on peut affirmer que ce qui caractérise le plus aujourd’hui l’interprétation de François Chaplin, c’est le courage. Car, même si elles n’ont rien de ténébreux, du courage, il en faut pour pénétrer ces atmosphères – le reflet de l’âme du compositeur – aussi profondément qu’il le fait. Plus mystérieuses que rêveuses, ces courtes pages exigent de l’interprète un véritable don de soi, car au cœur de cet univers romantique, le sentiment de danger est omniprésent. D’ailleurs, comme pour mieux nous imprégner de la souffrance contenue dans la partition, la prise de son confère à l’instrument – un piano Yamaha Premium d’une exceptionnelle beauté – une présence presque physique. Ce qui place ce disque au-dessus de tant d’enregistrements, c’est que François Chaplin s’aventure plus loin dans l’obscurité que d’autres, plus froussards, et par conséquent, aux interprétations plus dociles et superficielles. Son sens des sonorités, sa conception du rubato, sa construction des silences et le poids qu’il donne aux notes forment un tout qui s’oppose à l’image contemplative et immatérielle trop souvent rencontrée. Il y a plus de trente ans, le grand pianiste chilien, Claudio Arrau, nous ouvrait grand le livre des Nocturnes du génial Frédéric. Disons qu’avec la sortie de cet album remarquable, François Chaplin vient certainement de tourner l’une de ses pages les mieux illustrées.

T. HERVÉ - 04/2010