Si, dans l’esprit des mélomanes, l’œuvre de Dimitri Chostakovitch semble de préférence associée à l’orchestre qu’aux individualités instrumentales, la réalité prouve qu’elle ne s’est pourtant pas privée des possibilités offertes par la musique de chambre. Créé en 1995 par le pianiste Victor Yampolsky, le violoniste Mikhail Tsinman et la violoncelliste Natalia Savinova, le Trio Rachmaninov Moscow s’attache par le biais de ce disque à nous démontrer les immenses facultés du compositeur dans ce domaine. Depuis le temps que nos trois musiciens côtoient ces partitions, ils en ont acquis la connaissance du style et sont passés maîtres dans la reproduction des climats : les ambiances diaboliques à l’humour sarcastique alternant sans manière aux passages beaucoup plus convenus. Sans jouer à fond la carte de Chostakovitch, musicien de la souffrance et de l’angoisse, ils laissent néanmoins passer les émotions propres à sa musique, sans jamais totalement en oublier le lyrisme. Avec le souffle de la vitalité et avec une parfaite unité de vue, leur interprétation, à la fois délicate et frénétique, est de celles qu’il est difficile à prendre en défaut. La façon dont ils traitent le mouvement final de l’opus 67, un Allegretto à l’allure faussement décadente et aux dissonances presque alcoolisées, en est la meilleure illustration. Bénéficiant d’une captation idéale pour percevoir la justesse et la complexité de l’écriture, ce disque s’imposera donc tout naturellement à tous ceux qui désirent approfondir leur connaissance de la musique russe du XXe siècle.

T. HERVÉ - 05/2008