Alors qu’il fut le musicien de trois rois de France, Charles VII, Louis XI et Charles VIII, Ockeghem reste l’un de nos compositeurs les plus méconnus. De ce fait, la représentation discographique de sa musique, pour le peu qu’elle existe, doit à ce très beau disque une bonification qualitative largement méritée. De la génération de Guillaume Dufay et de Josquin Desprez, ce Franco-Flamand était pourtant considéré comme la référence de cette seconde moitié du XVe siècle. Parmi les nombreuses messes dont il est l’auteur, la Missa Cuiusvis Toni (messe dans n’importe quel ton) étonne par l’étrangeté de son titre. Ne comportant aucune indication en tête de partition, son interprétation peut s’effectuer indifféremment dans chacune des quatre tonalités ecclésiastiques de ré, mi, fa et sol. Plus de 500 ans plus tard, les membres de Musica Nova cultivent cette singularité en l’enregistrant dans toutes les versions possibles. Quatre fois la même messe, a capella de surcroît, voilà de quoi décourager les plus téméraires, penserez-vous ! Que nenni, bien au contraire, puisque cette parution célèbre deux apogées : celui de l’esthétique de la musique d’Ockeghem et celui d’artistes aussi doués que courageux. En effet, là où l’on aurait pu craindre une beauté un peu glacée, typique de certaines exécutions du répertoire sacré de cette époque, on est surpris par l’émouvante présence que dispense l’interprétation de Musica Nova. D’une humanité fervente et passionnelle, de toute évidence elle s’inspire beaucoup des chefs-d’œuvre architecturaux gothiques dans lesquels elle nous entraîne. L’écoute de ces deux heures de chant recueillera, j’en suis certain, l’assentiment de plus d’un néophyte pour peu qu’ils ne soient pas hermétiques aux symboles qui se rattachent à cette musique. Un disque à écouter à genoux !

T. HERVÉ - 03/2008