Tous ceux qui connaissent l’œuvre de Jean-Sébastien Bach dans son ensemble vous diront que la musique pour le clavecin y occupe une place de choix. Véritable centre d’attraction, les Suites et les Partitas pour clavier, les Variations Goldberg, le Clavier bien tempéré et les Inventions & Sinfonies ne sont pourtant pas les seules partitions dignes d’intérêt. Autour d’elles gravitent de nombreuses pièces qui, bien que de moindre notoriété, n’en demeurent pas moins très intéressantes. Sensible aux charmes de ces électrons libres, Christophe Rousset n’a aucun mal à nous démontrer que l’isolement ne conduit pas nécessairement à la détresse. Aux commandes d’un instrument propre à satisfaire toutes les audaces d’interprétation (le fameux clavecin Ruckers de 1632 du Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel), il ne lui faut que peu de temps pour nous rappeler qu’au sein de l’œuvre du Cantor, rien n’est marginal. En effet, sitôt la Fantaisie en la mineur d’introduction, son esprit débordant de malice et d’imagination nous livre un Bach totalement maître de son art, sa science de l’écriture ayant ici comme plus proches partenaires une discipline mélodique et rythmique peu commune. S’ensuivent des thématiques sonores toutes aussi belles les unes que les autres, chacune prenant à son compte là la verve et le goût de la virtuosité, là l’assimilation de la danse, là le partage de l’émotion. Captés avec une précision extraordinaire (Nicolas Bartholomée est encore de la partie), Préludes, Fantaisies, Capriccio, Adagio et Aria prennent des allures d’une frémissante farandole. Dans le sillage d’un mémorable et définitif Louis Couperin (voir ici), le duo Rousset-Bartholomée coordonne une nouvelle fois ses actions jusqu’à nous produire un album savant et peaufiné à l’extrême. « Bach Fantasy » : ni plus ni moins que la synergie musicale de l’artiste et de l’artisan.

T. HERVÉ - 01/2011