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Éditoriaux de l’année
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Éditorial Janvier 2007 N° 36 |
La haute-fidélité ne pouvant se soustraire aux comportements de surenchère voulus par les impératifs de notre ère hautement technologique, il n’est presque pas une année où un nouveau format d’enregistrement ne tente de supplanter son prédécesseur à peine né, et pourtant promis à un bel avenir. Entre les aspirations répondant à de sincères ambitions scientifiques et technologiques et celles, mercantiles donc moins avouables, ayant pour but de susciter chez le consommateur le désir de renouveler son matériel, on fini par se demander si, au bout du compte, tout ce tintamarre technico-médiatique sert ou dessert la filière qu’il est sensé promouvoir.
Nous sommes loin du quasi-consensus du début des années 80 face à la naissance du disque compact. À cette époque et pour la masse des consommateurs potentiels, l’avènement du CD fut vécu comme une révolution qui reléguait aux oubliettes le disque vinyle et le cortège de défauts qu’elle lui imputait. Jusqu’alors équipée d’un simple « tourne-disque », elle considéra ce nouveau standard de lecture comme nettement supérieur, alors que ceux, peu nombreux il est vrai, équipés de platines d’excellente qualité, en soulignaient les faiblesses.
Depuis, les nombreux progrès technologiques constatés, tant sur les parties mécaniques que sur les convertisseurs N/A, font du lecteur de disque compact une source de lecture particulièrement aboutie, d’autant que les fabricants continuent de s’y intéresser et le bonifient d’années en années. Malgré la réviviscence du disque vinyle et une offre sans cesse croissante de platine ad hoc, son hégémonie auprès du grand public en fait la base la plus universelle qui soit. Ses performances sonores actuelles, bien qu’encore perfectibles, sont, pour la grande majorité de ses utilisateurs, amplement suffisantes. Aussi, le faible taux de passionnés de haute-fidélité haut de gamme, prêts à investir dans de nouveaux matériels capables de tirer un avantage de nouveaux supports plus efficaces, ne risque pas de peser bien lourd dans l’émergence de nouvelles technologies. N’est-ce pas ainsi que l’on pourrait expliquer, du moins en partie, le relatif échec du Super Audio CD ?
Dans une certaine mesure, cela n’est pas sans rappeler les circonstances de la polémique qui accompagna la naissance du disque à la fin du XIXe siècle. Comme chacun le sait, Thomas Edison est le premier à avoir construit le premier appareil capable de reproduire un son enregistré. Largement inspirés par les travaux d’Alexandre Graham Bell (inventeur du téléphone), ses cylindres de cire recouverts de papier aluminium aboutirent à la création du phonographe. Près de dix années plus tard, soit en 1887, c’est un Allemand émigré aux États-Unis, Émile Berliner, qui imagina de remplacer le support cylindrique par un disque plat en ébonite, employant cette fois une gravure latérale plutôt que verticale. Deux ans après naissait son Gramophone. Bien qu’au début ses qualités sonores aient été inférieures comparées à celles des cylindres, le disque a fini peu à peu par s’imposer, les utilisateurs d’alors étant plus sensibles à son côté pratique et son esthétique qu’à ses performances sonores.
De nos jours, dans un marché en pleine mutation où la musique n’a jamais suscité autant de convoitises, force est de constater que paradoxalement, elle a de plus en plus de mal à affirmer ses véritables valeurs. Avec l’arrivée annoncée des nouveaux disques « Haute Définition » HD-DVD et Blu-Ray, ne risque-t-on pas d’assister, une fois de plus avec une totale déconvenue, à la mort de la poule aux œufs d’or ? D’or ou pas, ce qui est certain, c’est que face à l’évolution inéluctable de la musique immatérielle, les promoteurs d’innovations ne se risqueront pas à les mettre dans le même panier !
T. HERVÉ - 01/2007
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Éditorial Février 2007 N° 37 |
Les pochettes de nos disques, et les couvertures des magazines qui s’y rattachent, attestent, sans que le doute soit permis, de l’importance de la place de la femme dans l’univers musical actuel. Les responsables communication et marketing de leurs éditeurs respectifs ont d’ailleurs très bien compris le pouvoir que celles-ci pouvaient avoir sur les comportements d’achat des consommateurs, et n’hésitent pas à mettre en avant, souvent en l’amplifiant, leur côté mystérieux, émouvant, provocant, et parfois même sensuel. Les mélomanes les plus machistes pourraient en gloser, si les aptitudes de ces dames ne reposaient essentiellement que sur leur physique, mais qu’elles soient musiciennes, chanteuses ou chefs d’orchestre, c’est bel et bien leurs compétences artistiques qui les propulsent aux meilleures places, celles d’où l’homme s’est cru trop longtemps indéboulonnable.
Bien que leur succès soit amplement mérité, force est de constater que la reconnaissance de leur talent n’est que très récente. L’histoire de la musique nous apprend en effet que bien peu de place a été donnée aux femmes, même si c’est l’une d’entre elles, Sainte Cécile, qui fut choisie pour veiller à la destinée de ses disciples.
Pour elles, tout avait pourtant bien commencé. Dans une parfaite harmonie visuelle, l’iconographie musicale antique nous les présente joueuses de lyre, puis de harpe ou de cithare. Plus tard, à l’époque romaine, c’est comme chanteuses et musiciennes qu’elles se voient assignées aux divertissements, officiant souvent dans les banquets. À la fois artistes et esclaves, la prostitution était pour elles un moyen de gagner leur vie. Dès lors, l’église instituera la croyance selon laquelle la voix féminine mobilise le vice, jetant ainsi les bases d’un discrédit qui perdurera pendant des siècles et qui les bannira des chœurs.
Bafouées, mais pas soumises, elles ne perdent pas pour autant leur fibre artistique et créative. À partir du Moyen Âge, certaines oseront la revendiquer par la composition. Hildegard von Bingen, mais aussi, à l’époque baroque, Francesca Caccini ou Barbara Strozzi, et plus tard, émergeant du mouvement romantique, Fanny Mendelssohn et Clara Schumann, toutes ont depuis acquis une certaine notoriété auprès des mélomanes, cependant, aucune ne peut se prévaloir de la même réputation que leurs homologues masculins.
Le XXe siècle fut celui qui leur permit de s’affranchir de bien des tabous ; jouer en public n’est plus jugé indécent. Elles ont désormais accès aux conservatoires et les universités leur sont ouvertes, mais elles sont seulement formées à l’interprétation, les classes de composition leur étant encore interdites. Malgré l’émergence de grandes artistes interprètes, bien peu se révèlent dans l’écriture. Seule Lili Boulanger – Prix de Rome 1914, sœur de Nadia Boulanger, elle aussi compositrice – a laissé son nom à la postérité, mais comment expliquer qu’aujourd’hui encore, aussi peu de ses pièces sont au programme des concerts ?
Quelles qu’en soient les causes réelles, l’homme a presque toujours considéré la musique comme une affaire bien trop sérieuse pour les femmes. Pourtant, l’avènement du disque nous a permis de découvrir, avec une incontestable évidence, que la sensibilité et le sens musical de l’esthétique de ces dernières leur autorisent des performances au moins égales à celles de ses censeurs. Malheureusement, une fois encore, la phallocratie nous prive d’un bien qu’on ne peut, aujourd’hui, qu’imaginer.
T. HERVÉ - 02/2007
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Éditorial Mars 2007 N° 38 |
En vieillissant, s’il est un sujet qui préoccupe tout particulièrement l’audiophile mélomane, c’est bien celui de l’affaiblissement de ses performances auditives. Même si nous ne sommes pas égaux devant ce phénomène naturel, il est couramment admis que l’altération de notre acuité auditive commence dès l’âge de vingt ans, avec une perte, en moyenne, de 10 % de nos capacités tous les dix ans. Appelé presbyacousie, elle est à l’ouïe ce que la presbytie est à la vue.
Entendre suppose un son, une oreille pour le capter et un système nerveux pour le recevoir. La musique que nous écoutons chaque jour méritant le meilleur de nous-mêmes, l’audition est sans doute, parmi nos mécanismes sensoriels, le plus élaboré. Véritable centre de gestion des informations sonores, son rôle est d’analyser les ondes acoustiques qui nous parviennent en tenant compte de leurs fréquences (nombre d’ondes par seconde, exprimé en Hertz) et de leur amplitude (intensité du son, exprimée en décibel), puis de transmettre ces informations au cerveau. Dans Prometheus de Liszt, l’orgue descend très bas en fréquence. Cela veut dire qu’à certains moments, le nombre d’ondes créées est tellement réduit et leur intervalle si long, que celles-ci génèrent des graves importants. À l’inverse, dans l’Allegro fantastico n° 18 des Caprice Variations de Rochberg, le violon provoque un nombre de vibrations si élevé et séparées par un intervalle si court que le son produit est alors aussi aigu que le chant de certains oiseaux.
Ces principes bien admis, les choses se compliquent dès lors qu’on évoque la possibilité d’obtenir des sons de fréquence et d’intensité identiques, mais qui ne sonnent pourtant pas de la même façon. En effet, chaque son possède sa propre couleur, liée aux fréquences fondamentales qui le définissent, et aux harmoniques, composantes essentielles de la musique, qui s’y rajoutent. C’est ce qui détermine le timbre : la qualité spécifique d’un son, ni plus ni moins. Mais que serait-il sans le pouvoir que nous avons de le localiser ? Si la nature nous a pourvus de deux oreilles, ce n’est pas seulement pour mieux entendre ; c’est aussi et surtout pour nous permettre de situer très précisément les sources sonores dans l’espace. Lors d’un concert symphonique, les notes émises par la harpe située à notre gauche exciteront notre oreille gauche avant la droite, et inversement, celles des contrebasses situées à notre droite toucheront notre oreille droite avant la gauche. C’est cet infime décalage, à savoir le temps que met le son à parcourir la distance entre nos deux oreilles, qui nous permet d’en déterminer la direction et c’est seulement après l’avoir localisé que notre écoute se consacre à son analyse. Bien évidemment, lors d’un nouvel événement sonore, tous ces processus sont instantanément déclenchés, et lorsque l’on écoute de la musique, ils se synchronisent à son propre rythme.
Comme on le voit, l’écoute est un phénomène complexe qui associe de nombreux paramètres différents. Elle ne se comporte pas comme un simple appareil de mesure, mais comme un véritable ordinateur capable d’extraire un maximum d’informations des signaux reçus. Bien que très performante, elle n’en demeure pas moins vulnérable ; l’oreille peut supporter quelques épreuves, mais pas longtemps. Aussi, il ne faut pas croire que la musique classique lui est moins préjudiciable. Si les passages forts ne sont pas toujours très fréquents, il n’en reste pas moins que c’est le genre musical qui crée la dynamique la plus importante. Les musiciens évoluant au cœur des grands orchestres le savent bien et utilisent des protections, car ils sont soumis parfois à de très forts niveaux. Les appels déchirants de la trompette dans la Marche funèbre de la Cinquième Symphonie de Mahler peuvent provoquer des pertes auditives importantes à ceux qui se trouvent à proximité.
Quant à nous, modestes mélomanes, la vigilance reste le meilleur moyen de nous protéger. Outre que l’écoute est le fondement même de notre passion, gardons à l’esprit que c’est aussi le bien le plus précieux qui nous rattache au monde qui nous entoure. Sans aller jusqu’à dire qu’écouter de la musique est une activité à hauts risques, j’ose espérer que cet éditorial trouvera, auprès de vous, un « écho » favorable.
T. HERVÉ - 03/2007
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Éditorial Avril 2007 N° 39 |
Victimes de leur passion, les audiophiles, qui sont, rappelons-le, presque exclusivement des hommes, sont très souvent confrontés aux divergences de vues de leurs compagnes lorsque, dans le but d’améliorer leur système haute-fidélité, ceux-ci se risquent à toucher à l’harmonie de leur l’intérieur. Alors que sous les angles biologique et sociologique, la complémentarité de l’homme et de la femme est depuis longtemps établie, les notions de solidarité se font soudainement moins sentir ; l’homme voyant son statut d’être commensal se changer progressivement en celui de parasite.
À moins de disposer à l’étage, ou mieux encore au sous-sol, d’un espace permettant l’aménagement d’une salle d’écoute, c’est en général au salon, comme la majorité des gens, que l’audiophile installe son matériel. D’abord discret, au fur et à mesure de ses évolutions successives, celui-ci le devient de moins en moins. En effet, répondant à des aspirations auxquelles il ne peut résister, l’amateur enthousiaste émet, un jour ou l’autre, le souhait de remplacer son ancien lecteur de compacts disques par un modèle de nouvelle génération. La différence ressentie alors à l’écoute est telle, que rapidement, c’est au tour de son modeste amplificateur intégré de faire place à un ensemble préampli et ampli séparés haut de gamme. Comme c’était à prévoir, pour d’évidentes raisons esthétiques et pratiques, le support qu’il avait lui-même jadis construit ne peut plus cohabiter avec ces nouveaux éléments. Ses compétences en bricolage n’étant pas à la hauteur de ses ambitions, c’est donc un gros meuble spécifique, très stylé et monté sur pointes qui supporte désormais les maillons de son système qui, c’est bien connu, fonctionne nettement mieux ainsi. Heureux, mais pas totalement satisfait, c’est à la faveur d’une visite inopinée (?) chez son revendeur, qu’il franchit le pas et se décide enfin à changer sa paire de vieilles enceintes pour deux grandes et belles colonnes. Comme il a pu le lire dans les magazines spécialisés, et ses essais personnels l’ont d’ailleurs confirmé, c’est dégagé du mur arrière d’au moins un mètre que ces modèles s’expriment le mieux. De plus, en les écartant davantage l’une de l’autre, la scène sonore gagne en ampleur et en précision. En reculant le canapé et en poussant un peu les fauteuils sur les côtés, la position d’écoute est parfaite ; il suffit de décaler la table de la salle à manger. Et puis en rajoutant un plus grand tapis et des voilages plus épais, l’acoustique de la pièce serait meilleure, non ?
Mais manifestement, sa femme et lui ne possèdent pas le même cahier des charges. Bien que la conception de l’audiophile actuel s’oppose radicalement à celle de celui des années 70 et 80, pour qui un système audio devait forcément ressembler à laboratoire du CNRS, ce qui plaît à Monsieur, ne plaît pas forcément à Madame. Même sobre et bien agencé, ce qu’il considère comme esthétique devient aux yeux de son épouse subitement envahissant et disgracieux. Pensez-vous ! Ces appareils volumineux avec leurs grosses poignées et leurs ailettes de refroidissement ! Et ces enceintes qui trônent dans la pièce tels deux menhirs tombés du ciel ! Et ces horribles câbles qui courent par terre ! Qui plus est, non seulement c’est horriblement cher, mais ça doit consommer tout cela ?
Jamais en manque d’argument, notre homme tentera de plaider sa cause, mais ce qu’il estime être légitime apparaît à sa douce moitié comme l’affirmation d’un égoïsme typiquement masculin.
Afin d’éviter toute dérive conjugale, depuis quelques années, un nouveau label de qualité a vu le jour aux États-Unis. Issu du marketing, le WAF (Woman Acceptance Factor) désigne le coefficient de compatibilité d’un objet technologique avec une personne du sexe féminin. Seulement, cette homologation est basée essentiellement sur des critères esthétiques et pratiques. Le beau n’étant pas forcément synonyme de qualité, le risque couru par l’audiophile est bien réel : sous prétexte de pérenniser son couple, doit-il faire des concessions sur la musicalité de son système ?
Heureusement, la tolérance de nos épouses face à notre fanatisme évite à une grande partie d’entre nous de se poser cette ultime question. De ce fait, ayons une pensée toute particulière pour celles qui ne partagent pas nos goûts musicaux. Qu’elles en soient toutes ici remerciées.
Que le contexte soit historique ou bien culturel, de tout temps et dans toutes les sociétés, les hommes ont cherché à dominer les femmes. Pourquoi ? Parce qu’ils en ont peur ? Car, bien qu’ils ne veuillent pas l’avouer, ils savent qu’elles ont très souvent raison ! Aussi, et non sans une certaine lâcheté, pour se donner bonne conscience, ils n’ont d’autre solution que de se placer comme victimes. D’ailleurs, n’est-ce pas ainsi que nous avons commencé cette présentation ?
T. HERVÉ - 04/2007
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Éditorial Mai 2007 N° 40 |
Depuis l’apparition du numérique, et davantage encore depuis l’avènement de l’Internet haut débit, des lecteurs nomades et de la téléphonie mobile, la musique est devenue un enjeu économique à l’échelle mondiale. Pourtant, cet engouement ne doit pas nous faire oublier la dure réalité : la musique va mal.
Pour un grand nombre de professionnels réunis récemment pour le 41e Marché international du disque et de l’édition musicale (MIDEM), la vente de la musique dans ses formats habituels ne répond plus à une démarche commerciale viable. Toujours plus attachés à réaliser des profits importants et rapides, ils s’orientent désormais vers la diversification de ses formats et de ses moyens de distribution. Ainsi ont-ils développé toute une panoplie de formules associant l’objet traditionnel (lorsqu’il existe encore) à la vente de produits numériques dérivés, tout en recherchant des partenaires commerciaux auprès des opérateurs de téléphonie mobile, pendant que, dans le même temps, une partie de ces derniers se lançaient dans la distribution de musique en ligne ! Certaines maisons de disques, et non des moindres, sont allées jusqu’à créer des labels exclusivement numériques, leurs promotions se faisant par l’intermédiaire de blogues et de sites spécialisés. En outre, il est de plus en plus fréquent de lire sur les publicités relatives aux nouveautés et aux rééditions : « Introuvables en magasin, disponibles uniquement en téléchargement ».
Dans cet environnement d’interdépendance où la culture semble chaque jour davantage teintée de morosité et marquer le pas devant les logiques capitalistes, la musique classique semble toutefois résister. Tandis que le marché de gros des ventes de musique en France, tous répertoires et supports confondus, connaît une baisse de près de 25 % par rapport à la même période de 2006, elle est la seule à afficher des chiffres en progression. Alors que son taux de vente par téléchargement est estimé à seulement 3 %, les chiffres de l’année 2006 fournis par le SNEP (Syndicat National de l’Édition Phonographique) annoncent des ventes annuelles en hausse de 13,3 % et un chiffre d’affaires correspondant à 8,4 % du marché, soit une progression de 1,9 point par rapport à 2005.
Bien que flatteurs, ces comptes ne doivent pas pour autant voiler notre lucidité, car, lorsqu’on y regarde de plus près, ces bons résultats sont en majeure partie imputables à une société, Abeille Musique. Ce label indépendant, fondé en 1997 par Yves Riesel et surtout connu pour l’énorme succès commercial de ses intégrales Mozart et Bach, a vu pour la première fois ses chiffres intégrés aux statistiques du SNPE, qui s’en trouvèrent ainsi dopés. Visionnaire ou pas, son fondateur a très tôt misé sur l’évolution du numérique et ses tendances, à l’inverse de certains qui ont préféré orienter leur stratégie sur la valorisation du disque physique plutôt que sur sa dématérialisation.
Pour les audiophiles mélomanes que nous sommes, nos suffrages iront bien évidemment vers ceux pour qui le disque doit rester un bel objet que l’on a plaisir à posséder. Cependant, nous devons admettre que la musique classique, telle que nous la vivons aujourd’hui, doit faire face à un énorme dilemme. Si elle veut continuer à tenir son rang, ne doit-elle pas attirer vers elle un nouveau public ? Et pour le toucher, ne doit-elle pas s’adapter à lui en se servant des outils qu’il utilise ?
Dans une interview donnée fin 2006 au magazine Libération, Bernard Coutaz, créateur du label indépendant Harmonia Mundi et résistant dans l’âme, parie encore sur le support physique jusqu’à affirmer en ces termes : « Le CD n’est pas mort, il bande encore ». Fort de sa position de premier producteur indépendant français de disques classique avec 15 % des parts de marché, la crédibilité de ses propos ne fait aucun doute. Mais pour combien de temps encore ? Tout en l’encourageant dans son combat, osons espérer que face à l’ampleur de la e-musique, nous ne soyons pas un jour obligés d’envisager, à notre tour, l’utilisation de « produits dérivés » pour aider le disque à soigner les dysfonctionnements de sa fonction érectile.
T. HERVÉ - 05/2007
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Éditorial Juin 2007 N° 41 |
Alors que certains me définissent comme un être passionné et que d’autres me jugent trop perfectionniste, mon honnêteté m’oblige à admettre que, du moins en ce qui concerne le sujet qui nous réunit ici, tous ont certainement raison. Ceux qui me lisent depuis le début le savent bien, mes penchants pour la haute-fidélité ainsi que mon amour pour la musique classique et pour ses enregistrements ne peuvent se satisfaire de l’approximatif. Conscient que la perfection est très souvent une chimère, m’en approcher provoque chez moi une grande satisfaction, mais jamais un aboutissement. C’est donc tout naturellement en répondant à mes instincts que j’ai progressivement bâti mon système audio et constitué ma discothèque.
Seulement, un peu comme l’apathie génère la mélancolie, l’enthousiasme incite à la communication. Le désir de porter à la connaissance de ceux qui partagent les mêmes passions que moi mes trésors discographiques m’a amené en 2003 à créer ce site unique en son genre. C’est en effet le seul, à ma connaissance, à mettre en avant des disques autant pour leurs performances artistiques que techniques. De quoi apporter de l’eau aux moulins des audiophiles aussi bien qu’à ceux des mélomanes. Ce qui, au départ, ne représentait qu’un petit échantillon de ma collection est devenu, au fil du temps, un inventaire de plus en plus complet. Lors de sa mise en ligne, seuls 27 étaient présentés ; aujourd’hui, ce sont 370 disques qui vous sont proposés. Comme je l’annonce dans ma page d’accueil, tous font partie de ma collection personnelle et sont achetés et jugés en toute indépendance.
Voilà donc maintenant près de quatre ans qu’au rythme de huit nouveaux disques par mois, je vous entretiens, via l’Internet, de mes humeurs discographiques. Bien que je dispose d’une réserve qui me permettrait de tenir encore un moment la même cadence, j’ai décidé de réduire le nombre de nouveautés mensuelles. Et cela, pour trois raisons. La première, c’est qu’une partie des références qu’il me reste à vous soumettre n’est plus actuellement disponible à la vente ; je ne vois pas l’intérêt de vous en conseiller une si vous ne pouvez pas l’acquérir. La seconde étant que, dans la production actuelle, trop peu de disques peuvent se prévaloir de leurs prises de son. En conséquence, je suis contraint de gérer la pénurie, à moins de revoir mes critères d’exigence à la baisse, mais cela, il n’en est pas question. La dernière repose sur un étrange paradoxe. Ma passion pour la musique me pousse à créer un site qui, tout compte fait, me prend pas mal de temps. Autant de temps que je ne consacre plus à son écoute. Un comble ! Tiraillé entre le devoir et la passion, j’ai pris la décision de moduler le nombre des nouveautés. Ce mois-ci quatre. Le mois prochain, peut-être six ? Et pourquoi pas huit si l’actualité et le temps me le permettent ?
Néanmoins, mon principal souci restant de maintenir le même niveau de qualité, voire de l’augmenter, je vous annonce d’ores et déjà que chaque numéro de janvier sera désormais un numéro spécial. Sous la forme d’une liste « Coups de cœur », il reprendra les meilleures parutions de l’année écoulée. Dans le même esprit, je réfléchis à vous proposer une liste des acquisitions prioritaires du site. Réactualisée en fonction des nouveautés et des disponibilités, elle permettra à chacun d’y trouver instantanément les clés du bonheur. En quelque sorte, le tri entre le précieux et l’essentiel.
Bien évidemment, et malgré quelques sollicitations mercantiles, je continuerai dans cet esprit purement philanthrope. Mais ne vous méprenez pas, tout bienfaiteur songe aussi un peu à lui-même. Promouvoir la musique classique, encenser ses meilleurs enregistrements, déclencher des comportements d’achats et ensuite recevoir des messages de satisfaction, voilà une source de bonheur bien supérieure à quelque rémunération que ce soit. D’ailleurs, votre fidélité est la seule forme de flatterie que je m’autorise.
T. HERVÉ - 06/2007
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Éditorial Juillet - Août 2007 N° 42 |
Cela ne vous a certainement pas échappé, notre République a récemment changé de Président et par la même occasion, de responsable de la Culture. Si le premier est bien connu de tous, il n’est pas inutile de présenter le second ou plus exactement la seconde, car pour la quatrième fois depuis la création de ce ministère en 1959, c’est une femme qui vient d’être nommée à sa tête.
Christine Albanel est née le 25 juin 1955 à Toulouse. Agrégée de Lettres Modernes et réputée pour être une femme d’esprit, c’est son talent pour l’écriture qui la mena à travailler auprès de Jacques Chirac, que ce soit à la mairie de Paris, à Matignon ou à l’Élysée. Tour à tour, chargée de mission, directrice adjointe de cabinet et conseillère technique, elle ne sortira réellement de l’anonymat qu’en 2003, lorsqu’elle fut choisie pour présider aux destinées du Château de Versailles.
C’est donc avec la bénédiction de Nicolas Sarkozy que la remplaçante de Renaud Donnedieu de Vabres vient de prendre la direction d’un ministère qui reste pour la majorité des Français, bien « secondaire » car trop loin de leurs préoccupations quotidiennes. En effet, face aux chantiers plus mobilisateurs comme ceux de l’emploi et de la précarité, à ce niveau du débat, que peuvent bien peser les argumentations culturelles ? D’ailleurs, la place qu’a tenue la Culture dans la campagne présidentielle résume bien l’importance que nous lui accordons. Certes, la planète est malade et il est temps de se pencher à son chevet, mais quelles sont les mesures à prendre pour remédier au déficit artistique et culturel dans notre système éducatif ? Certes, la sécurité et la justice appellent des réformes rapides et proportionnelles à l’ampleur des maux dont elles souffrent, mais dans un même temps, ne serait-il pas temps de se pencher un peu plus sérieusement sur les dispositions de la loi sur le droit d’auteur qui, manifestement, ne satisfait jusqu’à présent aucun des partis concernés ? Certes, nos banlieues nécessitent une mise en place de mesures préventives et curatives, mais face aux orientations culturelles et technologiques actuelles, n’est-il pas légitime de se demander si la musique est appelée à rester un art ou à devenir un divertissement ?
Juste avant d’accéder aux plus hautes responsabilités de l’État, le futur Président de la République affirmait ne pas percevoir d’opposition entre l’art et le divertissement. Certes, si le premier inclut parfois le second, il ne faudrait pas pour autant se laisser aller au mélange des genres. Alors que le divertissement divertit, l’art subvertit. Aussi, accéder au pouvoir impose de s’affranchir de toute annonce démagogique pour n’avoir comme principal souci que de transmettre l’authenticité du message artistique aux futures générations. Nous n’avons pas l’autorisation de le transformer, mais le devoir de le faire connaître.
Seulement, dans notre monde actuel où l’argent domine la morale, c’est une mission bien plus difficile qu’elle n’y paraît. La musique classique étant toujours considérée comme un art, elle n’en est pas moins vulnérable. L’un des devoirs de l’État n’est-il pas alors de la protéger des aspirations mercantiles ou technologiques attentant à sa vérité ? Néanmoins, et comme toute autre forme de culture, elle ne doit pas être perçue comme une sphère interdite à certains milieux sociaux, mais au contraire, être promue comme un facteur de rapprochement et de socialisation. C’est l’un des principaux challenges qui attendent Madame Albanel et qu’elle devra savoir surmonter en finesse. Tout un art en quelque sorte !
T. HERVÉ - 07/2007
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Éditorial Septembre 2007 N° 43 |
Certes, la période estivale n’est peut-être pas la plus propice à l’exercice de notre passion commune, mais il faut bien vous rendre à l’évidence, vous n’écoutez presque plus de musique. Pourtant, votre collection de disques regorge de merveilles qui, autrefois, faisaient votre bonheur, mais depuis quelque temps déjà, le plaisir n’y est plus. Souvent même, il vous arrive de la passer en revue sans que se fasse sentir l’envie d’en écouter ne serait-ce qu’un seul. Pire encore, pour vous soustraire à vos habitudes, vous avez acquis un nouveau réflexe : celui d’allumer votre téléviseur. Atteint ce seuil d’alerte, le constat est sans appel : vous êtes bel et bien atteint par la dépression de l’audiophile.
Sans plus attendre, vous allez devoir combattre vos infidélités, vous soigner afin de raviver votre flamme, celle qui faisait de vous un être au lyrisme débordant. Pour cela, heureusement, les remèdes existent. Aussi, plutôt que de vous engager dans une psychothérapie aux résultats aussi lents qu’incertains, vous décidez, fort intelligemment, de renouveler votre chaîne hi-fi. Changement d’avoine réjouit le baudet !
Bien évidemment, votre revendeur refusera systématiquement votre carte Vitale, lui préférant votre carte bancaire. Cela dit, avec un tel spécialiste, les risques de rechute sont quasiment nuls. Dès lors, la question est de savoir quelle posologie appliquer à ce traitement. Autrement dit, jusqu’où aller dans la dépense, car dans ce domaine, la pilule peut être difficile à avaler. Les disparités y sont aussi grandes que celles qui séparent un dispensaire de brousse d’une clinique privée dans le canton de Genève. Dans le premier établissement, vous serez pris en charge, mais dans le second, moyennant finances, vous y serez traité « aux petits oignons ». Ainsi, si l’on peut estimer à 1000 € le palier sous lequel il est conseiller de ne pas descendre, il n’existe pas de limite supérieure à ne pas franchir, sinon celle du raisonnable. Celle dictée par votre conscience. Seulement, sans pour autant considérer que les systèmes les plus chers sont obligatoirement les meilleurs, tant s’en faut, n’attendez pas d’un bon système à 1000 € qu’il vous apporte autant de satisfaction qu’un autre dix fois (ou cent fois !) plus cher. Le prix élevé de certains matériels haut de gamme s’explique par le fait qu’ils sont réalisés en toutes petites séries, de manière artisanale. Néanmoins, cela n’excuse en rien les abus pratiqués par quelques fabricants peu scrupuleux, dont les excès injustifiés contribuent à jeter un discrédit sur une profession qui, dans sa grande majorité, ne le mérite pas.
Malgré cela, rassurez-vous, les magasins spécialisés compétents savent les débusquer. Fort(e) de leur expérience et de leurs conseils, vous serez à même de choisir votre nouveau système en fonction de votre budget et de votre degré d’exigence personnel, sans oublier que votre acquisition durera de nombreuses années. Aussi, quelle que soit la somme que vous lui consentirez, n’oubliez pas que le meilleur moyen de le pérenniser, c’est de lui apporter des disques de qualité. Au fur et à mesure de l’évolution de votre installation, vous les redécouvrirez. De même que l’or l’est pour les investisseurs, votre collection, dûment constituée, représentera pour vous une valeur refuge en cas de coup dur.
En conséquence, et au-delà de toute polémique sur le prix de tel ou tel système, il faudra plutôt considérer votre dépense comme une mesure prophylactique pour votre bien-être. Une contribution pour maintenir votre passion haute en fidélité, car, et ce n’est pas sa moindre vertu, ce choix thérapeutique vous mettra à l’abri de toutes les contingences audiovisuelles qui la menacent. Et comme chacun le sait, la sécurité n’a pas de prix. À bon entendeur…
T. HERVÉ - 09/2007
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Éditorial Octobre 2007 N° 44 |
Trop longtemps considérée comme un phénomène passif, la perception sonore est depuis quelques années un sujet qui intéresse de plus en plus la communauté scientifique. Plus complexe qu’elle ne fut jugée jadis, et alors qu’elle dévoile progressivement une part de ses secrets, plusieurs de ses particularités demeurent encore bien mystérieuses. L’oreille absolue en fait incontestablement partie.
Alors qu’à une époque elle était considérée par certains comme un fantasme de musicien, tandis que d’autres voyaient en elle un véritable « don du ciel », l’oreille absolue est, de nos jours, reconnue par la science. Malgré cela, elle demeure toujours un sujet de controverses. Mais qu’est-elle exactement ?
Pour la définir, il convient de préciser que nous avons tous, que nous soyons musiciens ou pas, un même système auditif qui se compose de trois parties : un capteur (l’oreille externe), un amplificateur (l’oreille moyenne) et un transmetteur (l’oreille interne). Si le mécanisme est identique, cela ne veut pas dire pour autant que nous entendons tous de la même manière. Ainsi, il en est parmi nous qui entendent mieux que d’autres. Ce sont essentiellement des musiciens. Alors que la totalité d’entre eux est dotée, après leurs formations, de l’oreille relative, celle qui leur permet de juger une note par rapport à une autre déjà identifiée (le fameux « la »), une infime minorité est capable, à la seule audition d’une note isolée, donc sans référence préalablement établie, de lui donner instantanément un nom. Cette impressionnante capacité d’association se nomme, l’oreille absolue.
Les recherches menées sur ce thème nous apprennent que, si le facteur génétique est désormais clairement démontré, ce don ne peut se développer que par une pratique très précoce et assidue du solfège, de préférence dans un environnement musical. Il se caractérise également par une mémoire auditive exceptionnelle. Nombreux sont les compositeurs et les musiciens célèbres qui en étaient pourvus. On pense tout naturellement à Mozart (supposé être, en plus, doué d’une mémoire eidétique), mais Bach et Haendel, ainsi que Leonard Bernstein, Jascha Heifetz et Vladimir Horowitz, faisaient aussi partie des « élus ».
Alors que son utilité ne fait aucun doute, par exemple dans l’apprentissage de la musique (les dictées musicales n’ont jamais été aussi faciles) ou dans la direction d’orchestre, cette faculté peut néanmoins se révéler fâcheuse dans certaines conditions. En effet, pour pouvoir déchiffrer les messages musicaux, les « absolutistes » font appel à la mémoire fréquentielle qui résulte de leurs formations musicales réalisées à partir d’une référence précise et constante : de nos jours, le diapason à 440 Hz. Un « la » est un son d’une fréquence de 440 hertz, c’est-à-dire un son qui vibre 440 fois par seconde. Or, depuis l’avènement relativement récent de la musique baroque jouée un demi-ton plus bas (la à 415 Hz), beaucoup de nos « petits veinards » sont perturbés, car cela ne coïncide pas à leur étalonnage. Tout sonne faux !
Un autre désagrément peut aussi survenir. En vieillissant, les performances de notre système auditif s’altèrent inévitablement. Outre le fait de moins bien entendre, l’oreille subit une altération vers les aigus. Cela donne l’impression que les timbres sont plus hauts. Ce problème n’incommode pas la plupart des individus, car les intervalles entre les notes restent les mêmes, mais ceux dotés de l’oreille absolue sont beaucoup plus sensibles à ce phénomène. Quelques-uns le sont tellement qu’ils arrêtent définitivement la musique. Un comble pour des soi-disant privilégiés !
Comme on peut le voir, le sujet est compliqué et, sur divers aspects, reste encore opaque. Don précieux pour certains, mauvaises habitudes pour d’autres, quoi qu’il en soit, ce bref exposé démontre que la musique ne se limite pas à la culture et au divertissement. Utilisant des techniques qui s’assimilent au langage, elle répond bel et bien à une nécessité physiologique propre à l’espèce humaine.
T. HERVÉ - 10/2007
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Éditorial Novembre 2007 N° 45 |
Actuellement, il est impossible de les rater. Elles s’affichent en pleine page dans les magazines spécialisés, tandis que les journalistes ne tarissent pas d’éloges à leur égard. On les croise même parfois dans les hypermarchés où, il faut bien le reconnaître, elles laissent tomber une partie de leur fierté. Mais qu’importe puisqu’elles génèrent un chiffre d’affaires aussi important que semble être la satisfaction de leurs consommateurs. Tout en cherchant à faire passer leurs formes sévères sous un maquillage tout aussi ostensible, elles se font remarquer surtout par leurs mensurations généreuses et leurs tarifs réellement provocateurs. Je veux bien évidemment parler des intégrales, ces compilations d’enregistrements dédiées à un compositeur ou à un artiste, et vendues à un prix très bas.
Bien que ne datant pas d’hier, cette formule n’a trouvé son aboutissement que très récemment. Tout a commencé en septembre 2005 par l’Intégrale Mozart. L’idée fut alors de proposer à la vente la totalité de son œuvre dans un seul coffret, et cela, pour trois fois rien, soit 170 CD à moins de 100 €. On la trouve même actuellement sur Internet à 54,99 €, port compris ! Initiée par l’éditeur Brilliant Classics, cette opération s’est avérée être une réussite commerciale sans précédent. Alors qu’il pensait en vendre environ 5 000, ce sont 200 000 coffrets qui trouvèrent un acquéreur en France et 150 000 à l’étranger. Fort de cette expérience « enrichissante », il a depuis appliqué la même recette à Bach (155 CD), à Chopin (30 CD), puis tout récemment à Beethoven (100 CD). Dernière parution en date, le pavé « Russian Legends » (100 CD) rend, quant à lui, hommage à l’école russe d’interprétation.
La concurrence ne pouvant pas rester inactive devant un tel phénomène, c’est la compagnie EMI qui tira la première. Elle a mis sur le marché une intégrale d’enregistrements de Beethoven issus de son catalogue et déjà rentabilisés, puis une de Schubert et de Mozart, les trois proposées selon une parfaite équation : 50 CD pour 50 €. Encore toute chaude, celle qui reprend la totalité des enregistrements studio de Maria Callas (70 CD), s’annonce d’ores et déjà comme un événement, alors que dans le même temps, Sony emboîte le pas avec sa « Glenn Gould – The Complete Original Jacket Collection » (80 CD). Tandis qu’Universal Music annonce la sortie d’une anthologie des « 50 Plus Grands Opéras du Monde » en 100 CD, c’est au tour du premier producteur français indépendant de disques classiques de dégainer. À l’occasion de son cinquantième anniversaire en 2008, Harmonia Mundi succombe donc à la tentation en publiant un coffret sans concession de 30 CD des cinquante interprétations de référence qui ont marqué son histoire. Voilà donc la fièvre répandue dans toute la profession.
Bien qu’elles soient dictées par des lois mercantiles, il faut admettre que ces opérations ne sont pas sans intérêt. Reconnues dans l’ensemble pour leurs qualités artistiques, elles permettent à la musique classique de sortir de son ghetto et d’attirer vers elle un nouveau public, tout en permettant aux néophytes et aux mélomanes disposant d’un faible budget de « s’équiper » sans se ruiner.
Cela étant, et sans vouloir jeter la pierre à ses nombreux adeptes, plusieurs remarques me viennent à l’esprit. Tout d’abord, il ne fait aucun doute que pour une partie d’entre eux (une infime, j’espère), ces briques de disques représentent un impact visuel non négligeable : un objet de décoration qui, en plus, donnerait de l’importance culturelle. Ensuite, il est difficilement concevable d’espérer profiter d’une telle masse discographique. Il est plus aisé de se caler 200 heures de Mozart ou de 150 heures de Beethoven entre les mains qu’entre les oreilles ; à raison de deux heures d’écoute par jour, faites le calcul ! De plus, disposer instantanément de tout l’œuvre d’un compositeur, ne conduit-il pas, insidieusement peut-être et aussi paradoxalement que cela puisse paraître, à s’en éloigner aussi vite que l’on s’en est approché ? Aussi, serait-il osé de considérer que cette façon d’accéder à la culture (profusion musicale à un prix aussi bas) la banalise davantage qu’elle ne la sert ? Et dans quelle mesure sa présentation souvent très sommaire aide-t-elle à sa compréhension ?
Toutefois, les fêtes de fin d’années approchant, il ne fait aucun doute que ces intégrales de tout poil vont faire rentrer des sous dans les caisses. Mais comme toutes les modes, celle-ci a son côté pervers, car il arrivera fatalement un jour où la vache ne donnera plus de lait. De fait, les éditeurs ne sont-ils pas en train de scier la branche (de plus en plus frêle) sur laquelle ils sont assis ? Après avoir acquis une intégrale de Beethoven pour 50 €, il faudra en effet une bonne dose de courage au mélomane pour débourser 20 € dans l’achat d’une nouveauté à prix fort et contenant seulement deux quatuors à cordes ! Certes, le marketing doit faire preuve d’audace, mais de là à penser qu’il s’agit d’une manœuvre suicidaire, il n’y a qu’un pas.
Reste qu’une discothèque de qualité est toujours le fruit de la patience et de la constance. Les disques doivent être achetés suite à des coups de cœur, des réflexions ou des comparaisons. Intégrale rime trop avec intégrisme. Le mélomane doit réagir en fonction de son appétit musical et non en fonction de la rapidité du service et de la consistance des plats qu’on lui sert. Reste quand même à souhaiter que toutes ces boîtes ne précipitent pas encore plus vite le disque vers le déclin. Qu’elles ne se transforment pas un jour en cercueil !
T. HERVÉ - 11/2007
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Éditorial Décembre 2007 N° 46 |
Traditionnellement, le mois de décembre est celui que l’on choisit pour faire le point. Rassurez-vous, il n’est pas question ici d’établir des statistiques sur ceux qui ont préféré changer un élément de leur chaîne haute-fidélité au lieu de partir en vacances, et encore moins sur ceux qui ont réussi à arrêter de fumer ou/et à réduire leur consommation d’alcool dans le but d’acheter davantage de CD. La passion a des limites que je ne saurais franchir. Non, il s’agit tout simplement de savoir si l’année qui se termine doit être considérée comme un bon cru discographique et plus particulièrement, si elle fut féconde en réalisations aptes à assouvir la passion des audiophiles mélomanes que nous sommes.
Avec une production sans cesse en perte de vitesse, il n’est pas étonnant de constater que nous vivons une période un peu chiche en références, du moins telles que nous les concevons ici. Ce n’est pas que la qualité des interprétations n’est plus au rendez-vous, mais c’est plutôt que, malgré ce que l’on veut bien nous faire croire, la proportion de celles qui bénéficient d’un enregistrement réellement de qualité ne progresse toujours pas.
Pour autant, les labels ont depuis longtemps pris conscience de l’importance de l’argument technique pour la promotion de leurs produits. Cela remonte à l’apparition du CD et à sa technologie du « tout digital », symbolisée par les DDD qui figuraient (et qui figurent toujours) au dos des jaquettes et qui dévalorisaient d’un seul coup, à en croire ses inventeurs, de prétendues vieilleries identifiées AAD ou ADD. Seuls les profanes trouvaient dans cet argument de quoi les combler. Pour les initiés, ces sigles n’avaient aucune valeur et ne garantissaient aucunement la qualité d’un enregistrement. Autrement dit : un véritable attrape-nigaud.
Vingt-cinq ans plus tard, de nouvelles estampilles sont venues se rajouter aux précédentes : HDCD, 24 Bit/96 kHz, True Stereo, XRCD... Dernière en date, le DSD (Direct Stream Digital), le nouveau format développé pour le Super Audio CD. Même si tous ces codages et formats visant à améliorer le transfert et la reproduction des données numériques ont fait franchir un nouveau pas vers une plus grande qualité d’écoute, celle-ci n’est en aucun cas assurée, car au-delà des procédés utilisés, c’est le savoir-faire ou l’inaptitude de l’ingénieur du son qui l’emporte.
C’est ainsi qu’on a dû supporter, cette année encore, un trop grand nombre d’interprétations magistrales entachées par des prises de son décevantes. La plus récente est certainement l’hommage que Cecilia Bartoli vient de rendre à l’une des premières grandes divas du XIXe siècle et égérie de toute une génération d’artistes, Maria Malibran. Voilà assurément l’un des plus beaux disques de l’année. Une présentation luxueuse, un livret consistant et richement illustré mais surtout, une interprétation à tomber à la renverse. Malheureusement, la réalisation technique n’est pas à la hauteur du travail artistique, et si le cœur du mélomane est en émoi, celui de l’audiophile est en désarroi. Bien sûr, ce disque est bien trop précieux pour que l’on puisse s’en passer, et chacun, quel que soit son camp, aura tôt fait de l’acquérir. Néanmoins, le mal est fait.
Fort heureusement, 2007 aura eu son lot de disques propres à satisfaire les pinailleurs que nous sommes. Comme je vous l’avais annoncé précédemment, j’ai réuni sous la forme d’une liste « Coups de cœur » ceux qui me semblent être les plus grandes réussites de l’année. De quoi nous faire oublier un bilan, dans l’ensemble, assez mitigé. Par contre, les nouveaux visiteurs devront faire attention, car goûter à ces merveilles représente un danger bien réel : celui de devenir à son tour et définitivement un pinailleur !
T. HERVÉ - 12/2007
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