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Éditoriaux de l’année
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Éditorial Janvier 2006 N° 25 |
Au-delà de son aspect artistique, le disque de musique classique dépend qu’on le veuille ou non, d’une industrie soumise aux lois évolutives du marché. L’histoire récente nous prouve que celle-ci n’en demeure pas moins fragile et que même si ses ventes sont légèrement en hausse en 2005 (+0,5 % pour les neuf premiers mois), plus que de la vigilance, c’est de l’anticipation dont il va falloir faire preuve.
Parmi les réflexions menées sur ce sujet, les professionnels sont unanimes pour reconnaître que son avenir repose en grande partie sur sa revalorisation et sa popularisation. Mais alors, comment rendre la musique classique plus populaire sans pour autant la dévaloriser et l’affilier au sens péjoratif du terme ?
Certaines initiatives bien menées ont prouvé qu’il était possible d’intéresser un grand nombre de néophytes à la musique classique. Parmi les plus efficaces, citons celle de René Martin, initiateur entre autres festivals de « La Folle journée » de Nantes. Son succès repose sur sa capacité à provoquer, dans un cadre adapté, la rencontre entre le public et les musiciens, son concept étant basé sur la simplicité et la proximité. Son but est d’attirer un public le plus large possible vers les salles de concert, aussi facilement qu’il l’est vers les salles obscures. Et cela fonctionne à merveille. En 2004, pour sa 10e édition, plus de 100 000 mélomanes, débutants ou confirmés, ont répondu présents.
Autre personnage incontournable du monde musical, Frédéric Lodéon, le Monsieur Musique Classique de France Inter, contribue lui aussi sans cesse à la promouvoir. Depuis 1992, combien de personnes se sont converties suite à l’écoute de son émission « Carrefour de Lodéon » ? Sa personnalité enjouée, son érudition et sa simplicité de ton ont permis là encore à beaucoup d’accéder à un univers qui, par d’autres, leurs aurait été inaccessible. Dans un style plus formaliste, mais néanmoins efficace, « Les Victoires de la Musique Classique » attirent chaque année devant leur écran de télévision environ deux millions de téléspectateurs avec une exigence qualitative incontestable.
Le cinéma n’est pas en reste et sous l’impulsion de certains réalisateurs talentueux, il a lui aussi participé à l’essor de la musique classique. En 1984 Amadeus, le film aux 8 Oscars de Milos Forman, puis en 1991 Tous les matins du monde, le film qui valut 7 Césars à Alain Corneau, sans oublier en 1994 Farinelli de Gérard Corbiau, toutes ces réalisations ont fait entrer la musique classique et baroque dans des foyers qui ne la connaissaient pas. Un premier pas était franchi.
Les quelques exemples évoqués attestent que le message peut passer si l’on y met la forme. Le tout est de savoir susciter l’intérêt et de provoquer le plaisir d’écouter. Il faut donner à la musique classique une image plus abordable et plus distrayante ; la faire descendre de son piédestal pour qu’elle aille à la rencontre du public, qu’elle s’offre à sa curiosité. Pour cela il serait peut-être bon qu’elle s’inscrive dans une démarche éducative et pédagogique afin qu’elle soit considérée, et ce, dès le plus jeune âge, comme un « produit » culturel bien intégré à notre époque. Bien évidemment, cela serait possible sous réserve d’user de méthodes didactiques adaptées et conformes à notre environnement interactif actuel. Sans pour autant le condamner, il faut bien reconnaître que son apprentissage, tel qu’il est pratiqué actuellement par le système éducatif, ne contribue pas à créer le capital de sympathie dont elle a tant besoin.
T. HERVÉ - 01/2006
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Éditorial Février 2006 N° 26 |
En ce début d’année commémorative du 250e anniversaire de la naissance de Mozart, une controverse agite le landerneau de l’édition phonographique. À l’origine, l’initiative de Pieter Van Winckel – le directeur artistique du label Brilliant Classics – de proposer en un coffret l’Intégrale de l’œuvre du compositeur à un prix encore jamais vu. Sorti peu avant les fêtes de fin d’année, ce « pavé » a en effet de quoi agacer la concurrence. Jugez-en plutôt : un plantureux boîtier de 31 centimètres contenant 170 CD (soit près de 200 heures d’écoute) pour seulement 99 € !
Depuis sa sortie, impossible de le rater. Il est partout, de préférence en tête des linéaires des hypermarchés et des disquaires comme la Fnac et Virgin. Contrairement à de nombreuses offres promotionnelles sporadiques, celle-ci n’est pas une intégrale au rabais, mais bel et bien un produit de qualité, ce qui dérange d’autant plus ses détracteurs. Devant une telle somme de qualités, le succès commercial ne s’est pas fait attendre. En un mois, ses ventes accusaient déjà 60 000 exemplaires, et nous en sommes à ce jour à plus de 100 000 rien que pour la France. Difficile alors pour les nouveautés à tarif normal de se faire une place à l’ombre de cette offre, d’autant que, année Mozart oblige, un grand nombre de parutions dédiées sont programmées.
Dès lors, il n’est pas étonnant de voir une partie de la concurrence réagir et condamner cette opération promotionnelle comme étant « de la vente à perte » (Challenges – Magazine économique du 15 décembre 2005). Promoteur de ce mouvement, le PDG du label Naïve, Patrick Zelnik, qui fustigea à l’occasion du Palmarès de l’Académie Charles Cros, en substance, « ceux qui vendent Mozart comme de la lessive », et fit paraître fin décembre dans le quotidien Le Monde une tribune intitulée « Mozart en tête de gondole », dans laquelle il stigmatise une fois de plus ce coffret. C’est avec la caution d’une vingtaine d’artistes et l’appui de Louis Bricard (fondateur du label Auvidis) qu’il regrette « qu’on ait donné à croire aux acheteurs que la valeur d’un disque était celle de la rondelle du CD » et que ce genre d’opération ait pour conséquence néfaste d’installer l’idée dans le public qu’un disque ne coûte pas cher.
Le distributeur, Abeille Musique, n’a pas tardé à répliquer dans les mêmes colonnes, sous le titre provocateur C’est moi l’assassin de Mozart. « Si la solution aux problèmes du disque classique consistait à le rendre obligatoirement cher, ce serait une nouvelle géniale », a ironisé son fondateur Yves Riesel.
Brilliant Classics n’en est pourtant pas à son coup d’essai. En 2000, pour célébrer l’année internationale de Jean Sébastien Bach, le label néerlandais mettait sur le marché l’intégralité de l’œuvre du Cantor soit 160 compacts répartis en 40 coffrets à prix réduit. Cela est rendu possible, car les disques publiés sous la marque Brilliant Classics proviennent très souvent de catalogues d’autres labels qui rétrocèdent leur licence pour des enregistrements déjà parus et dont la vente au détail est devenue marginale. Mais le coup de force de l’Intégrale Mozart, c’est que le rééditeur est devenu producteur. En effet, 65 % sont composés d’enregistrements spécialement produits pour elle. Les airs de concerts sont pour la plupart des enregistrements originaux et l’ensemble de la musique sacrée a été, elle aussi, spécialement enregistrée. Bien entendu, c’est un argument majeur pour ses défendeurs.
L’une des questions que soulève ce débat est de savoir si une telle entreprise sert ou dessert le disque. Au-delà de toute polémique corporatiste et sans pouvoir augurer d’une quelconque incidence sur l’évolution de son marché, force est de constater qu’elle trouve auprès des mélomanes une source de plaisir et une occasion de se rapprocher d’une musique classique souvent réputée inaccessible. Et puis, reconnaissons qu’il est assez drôle d’observer que plus de 200 ans après avoir été enterré dans une fosse communautaire, Mozart vend davantage de disques que Madonna. Au final, le gagnant, c’est bien lui.
T. HERVÉ - 02/2005
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Éditorial Mars 2006 N° 27 |
Selon certains acteurs de l’industrie discographique, les turbulences que celle-ci traverse seraient en grande partie imputables à la révolution technologique liée à la progression de l’Internet.
D’après Éric Nicoli, patron du Britannique EMI Group, en 2005 la musique « numérique » aurait représenté 6 % des ventes mondiales de l’industrie du disque ; un chiffre qui risque de passer à 25 % en 2010 si l’on en croit les prévisions actuelles. Les explications de cette croissance reposeraient sur le fait que les plates-formes de téléchargement payant sur Internet sont devenues plus attractives, aussi bien en offre qu’en présentation. De plus, les réseaux « peer-to-peer », lieu alternatif et non contrôlé d’échange de fichiers musicaux, seraient en passe d’être maîtrisés grâce, notamment, à des actions judiciaires répressives.
D’ailleurs, et alors que les supports physiques doivent de plus en plus coexister avec la musique dématérialisée, les observateurs les plus alarmistes présagent déjà de la disparition prochaine du disque compact. Bien que les amateurs de musique classique ne soient pas les plus concernés par ces nouvelles méthodes d’acquisition, le poids que ceux-ci représentent ne pourra pas contrarier les nouvelles tendances. L’énorme succès commercial du coffret de l’Intégrale de l’œuvre de Mozart publié par le label Brilliant Classics (voir l’éditorial de février) ne doit pas nous faire oublier que seule une infime minorité de Français achète des disques de musique classique.
Ce changement des modes de consommation de la musique rend nécessaire une nouvelle approche de la politique menée par le Ministère de la Culture et de la Communication en collaboration avec les professionnels du disque. Il faut bien admettre qu’une majorité de ces derniers se sont progressivement éloignés des aspirations des consommateurs, se privant par là même des outils essentiels à une compréhension raisonnée de la situation.
Convaincue qu’une utilisation rationnelle du marketing est aujourd’hui indispensable à une gestion intelligente du marché du disque, une étude ayant pour but de dresser le profil du consommateur de musique classique fut récemment menée. Née au sein de la filière Mastère spécialisée « Marketing et Communication « de l’ESCP-EAP, cette démarche a bénéficié du soutien du distributeur de disques indépendant Abeille Musique et du magazine Classica-Répertoire. Son but étant de donner aux professionnels du secteur des informations claires et concrètes sur leur cible afin de leur permettre d’y adapter au mieux leur offre, elle ne constitue cependant que le point de départ d’une indispensable réflexion visant à remettre le consommateur au centre de la réflexion des professionnels.
Le 26 janvier dernier, le salon international des professionnels de la musique, le MIDEM, fermait ses portes à Cannes. Une 40e édition marquée, cette année encore, par la mutation de l’industrie de la musique dans l’ère numérique. Si les maisons de disques présentes affichaient une confiance dans leur capacité à gérer cette évolution, le consommateur restait, comme d’habitude, le grand absent des débats. Face à la vulnérabilité du secteur, et quoiqu’en disent les plus optimistes, cette inertie risque à l’avenir de coûter cher aux plus vaniteux d’entre eux.
T. HERVÉ - 03/2005
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Éditorial Avril 2006 N° 28 |
À l’heure où la perspective des nouvelles mesures pour l’emploi agite les consciences divisées des Français, le 21 mars dernier, l’Assemblée Nationale adoptait, après de rudes et longues discussions, le projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (DADVSI). C’est en effet dans un hémicycle étoffé et après moult volte-face, que le texte a été adopté à la majorité de 286 voix pour et 193 contre ; des chiffres qui attestent de l’âpreté des débats et qui en font le scrutin le plus serré de la législature actuelle. Une telle effervescence témoigne de l’importance de l’enjeu qui, au-delà de toutes considérations éthiques et commerciales, doit être considéré comme un véritable sujet de société.
Cette loi est une adaptation d’une directive européenne, elle-même inspirée d’une loi américaine, Digital Millenium Copyright Act. Elle a pour objectif d’harmoniser pour les années à venir les règles de circulation et d’échange sur Internet tout en respectant le principe fondamental du droit d’auteur. L’enjeu est de taille, car si pour l’instant un Français sur deux est internaute, d’ici quelque temps, nous le serons tous. C’est cet équilibre entre droit du public et droits de l’auteur qui est actuellement au centre des discussions.
À la surprise générale, dans sa version finale, ce projet de loi enterre donc l’idée de la licence globale optionnelle pourtant longtemps d’actualité et validée par le Conseil économique et social. Lors de son premier examen en décembre dernier, bon nombre de députés, toutes tendances confondues, s’allièrent pour défendre cette licence globale, mais c’était sans compter sur la réaction de nombreux artistes et des maisons de disques qui présentaient la menace d’une concurrence à l’échelle planétaire. Pour ceux qui n’auraient pas suivi l’affaire dans ses détails, rappelons que la licence globale permettait à toute personne le souhaitant et moyennant le versement d’une redevance mensuelle à son fournisseur d’accès Internet (5 à 7 euros par mois), de télécharger et de diffuser librement sur Internet de façon illimitée tout type d’ouvres ; la redistribution des sommes perçues par les FAI aux ayants droits (les créateurs) se faisant alors par l’intermédiaire de sociétés de gestion collective.
Avec l’abandon de la licence globale, les parlementaires se rangent donc du côté des professionnels du disque, adoptant même leurs propositions, à savoir : la pénalisation du téléchargement illégal, la lutte intensive contre les éditeurs de logiciels destinés au piratage (Peer to Peer) et enfin l’extension des protections numériques visant à limiter la copie ou l’utilisation. Ce dispositif technique appelé DRM (digital right management) ou en français MTP (mesures techniques de protection), est au cours du débat, car ses détracteurs lui opposent son atteinte aux libertés individuelles et aux droits à la copie privée de biens dûment achetés.
Alors, qui faut-il ménager et au détriment de qui ? Et y a t-il réellement préjudice ? Pas pour tout le monde visiblement. Sur les neuf premiers mois de l’année 2005, le groupe Universal Music triplait ses ventes de musique en ligne, son chiffre d’affaires progressant ainsi de 5 %. Pour la même année, EMI affiche un chiffre d’affaires en hausse de près de 5 % tandis que Vivendi Universal annonce une augmentation de 30 % de son bénéfice. Relation de cause à effets, les revenus des ayant droits ont connu une augmentation sensible passant de 75 millions d’euros en 2000 à 230 millions d’euros en 2005. Certes, mise à part la musique classique qui voit ses ventes progresser, les disques compacts se vendent moins, mais les majors continuent à générer des dividendes ; la nouvelle loi confortera à n’en point douter leur position dominante.
Annoncé comme une révolution, Internet l’est sûrement davantage qu’on ne l’imagina. Aujourd’hui, ce formidable espace d’émancipation confirme ses faiblesses et illustre bien que la liberté des uns commence là où s’arrête celle des autres. De plus en plus, l’ère numérique bouleverse les habitudes de consommations et nos rapports avec la culture. Sous prétexte de facilité et de mise à disposition, elle déclenche chez beaucoup une « consommation » compulsive de musique, mais finalement, ceux-ci n’entretiennent qu’un rapport superficiel avec elle. Cet usage banalisé de la musique ne défend pas sa cause et encore moins celle de ses inspirateurs.
Néanmoins, et quelles que soient les mesures prises, rien ne pourra empêcher le développement des téléchargements qui précipitent chaque jour davantage le disque compact dans l’abîme. Il est fort probable que cette loi fasse encore parler d’elle, notamment lors de son passage au Sénat prévu au mois de mai prochain. Quoi qu’il en soit, c’est un sujet qui reviendra alimenter les conversations, car le train est lancé et il sera difficile de le faire changer de direction. « La liberté appartient à ceux qui l’ont conquise », disait André Malraux. Espérons seulement qu’elle puisse profiter à tous.
T. HERVÉ - 04/2005
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Éditorial Mai 2006 N° 29 |
Vous êtes de plus en plus nombreux, chaque mois, à venir butiner parmi les suggestions discographiques de mon site et je vous en remercie. Afin de rendre vos visites toujours plus agréables, j’ai procédé, pour ce vingt-neuvième numéro, à quelques modifications d’ordre pratique. Tout d’abord, mes commentaires sont désormais fixes et immédiatement visibles au chargement des pages ; les informations techniques, que j’imagine moins souvent consultées, restent masquées et accessibles par un simple « clic ».
Ensuite, et pour répondre à certaines requêtes, j’ai changé la couleur des textes. Légèrement moins clairs, leurs lectures seront moins fatigantes pour nos yeux ; nos oreilles ne sont pas les seuls de nos attributs à devoir être protégés ! J’en ai également profité pour modifier la police d’écriture des parties purement rédactionnelles (commentaire personnel et présentation de l’éditeur). Elles contrasteront ainsi davantage avec les informations plus techniques.
Enfin, vous avez pu constater la disparition du répertoire de recherche par compositeurs et par thèmes. Bien que très pratique pour le visiteur, compte tenu du nombre de références présentes sur le site (273 disques), la technique qu’il utilisait était devenue beaucoup trop lourde à gérer. En attendant de lui trouver une solution de remplacement adéquate, je vous invite à utiliser le moteur de recherche interne en vous affranchissant, bien entendu, des quelques bannières publicitaires imposées, présentes. Là aussi, je travaille à son amélioration.
Je profite de cet éditorial en forme de bulletin de liaison pour vous signaler que, bien que mon site prenne de l’ampleur, en aucune façon les disques qui s’y ajoutent chaque mois ne dérogent aux critères techniques et artistiques que je me suis fixés au départ. Les nouveautés mensuelles sont choisies, d’une part parmi les sorties discographiques récentes et d’autre part, parmi des parutions plus anciennes, mais qui conservent malgré cela toutes leurs valeurs originelles. Mes acquisitions, cumulées aux ressources de ma discothèque, me permettront de tenir, je l’espère, encore quelques années ce rythme. Seulement, selon mes propres critères et en fonction de mes possibilités d’achat et d’écoute, seul un nombre infime de parutions mensuelles réussit à conjuguer de tels niveaux de qualité. Par rapport à mon expérience et aux moyens dont je dispose pour en juger, j’estime leur nombre à environ 2 à 3 % de la production. Le risque le plus probable étant qu’un jour, le nivelage des standards se faisant plutôt vers le bas, les disques dignes d’y figurer finissent par disparaître complètement.
Sans me rallier aux positions extrêmes de Glenn Gould qui prônait avec véhémence les vertus de l’enregistrement contre l’interprétation en concert, ni à celles, non moins jusqu’au-boutistes de Sergiu Celibidache qui voyait dans le disque un objet qui tue la spontanéité, l’oreille et, à terme, la conscience musicale, je pense qu’à condition d’être bien choisi, le disque demeure un vecteur d’émotions essentiel et incontournable. Loin de tout exhibitionnisme et de toute ingérence sur l’interprétation, il doit s’effacer en tant que support, mais doit s’affirmer en tant que source de plaisirs. Bien sûr, le contenant et le contenu sont intimement liés. Pour écouter de la musique, ne dit-on pas : « Je vais écouter un disque » ?
T. HERVÉ - 05/2005
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Éditorial Juin 2006 N° 30 |
La musique est à juste titre reconnue comme un art au caractère fortement subjectif. Son pouvoir évocateur se manifestera différemment selon l’auditeur, en fonction, entre autres, de ses goûts, de son état psychologique, de son environnement et, soyons honnêtes, de son aptitude à ne pas se laisser influencer par les observations d’autrui. Chacun devant assumer ses propres goûts et cela en toute objectivité. Il est dès lors concevable de lire, çà et là, des opinions disparates sur un même enregistrement. Bien qu’en général les chroniqueurs des magazines (ou webzines) spécialisés en musique classique fassent preuve d’une certaine harmonie dans leurs jugements artistiques, il en est tout autre lorsque ceux-ci s’avancent à formuler un commentaire sur la qualité technique de ces mêmes enregistrements.
On constate alors de profondes divergences quant aux avis formulés. Les uns, dont la générosité traduit l’incompétence, n’hésitant pas à décerner des notes maximales à tour de bras, tandis que les autres, parcimonieux à l’extrême, sont passés maîtres dans l’art de couper les cheveux en quatre. Toutes ces différences individuelles démontrent combien la notation d’une prise de son est un exercice difficile et délicat. On retiendra par exemple qu’il n’est pas toujours évident de faire la part des choses entre ce qui découle purement de l’interprétation et ce qui résulte de l’enregistrement.
Mises à part quelques différences physiologiques propres à la diversité de l’être humain (sexe, âge, etc.), nous sommes tous pourvus des mêmes organes dotés de fonctionnalités semblables. Par conséquent, il ne s’agit pas de savoir si l’on a de l’oreille, mais plutôt de savoir si l’on sait s’en servir. Pour appréhender les qualités et les défauts d’un enregistrement, il faudra donc obligatoirement, durant le temps de l’analyse, écouter différemment. Une gymnastique auditive qui nécessite un minimum de rigueur et de concentration pour juger de la dynamique, de la transparence, de la dimension spatiale, des timbres, de l’équilibre et de la cohérence. Une « dissection » sonore que les professionnels du son connaissent bien. Qu’ils soient musiciens ou ingénieurs du son, journaliste hi-fi ou critiques musicaux, tous (sauf apparemment quelques critiques musicaux dont je tairais les noms), usent de ces méthodes d’écoute pour traquer les plus petits défauts de la restitution musicale.
Comme toute évaluation, celle-ci doit faire appel à des références que seuls les concerts en direct peuvent offrir ; n’oublions pas que c’est la meilleure façon qui nous soit donnée d’étalonner nos instruments. Nos oreilles, pardon.
Bien évidemment, cette méthode ne pourra pleinement s’appliquer qu’à la condition de disposer d’une interface acoustique garantissant la plus grande neutralité possible ; meilleure sera sa qualité et mieux seront perçues les caractéristiques techniques des enregistrements. Enfin, l’écoute devra se faire sur un système audio bien réglé et d’une bonne homogénéité. Capable du meilleur comme du pire, une chaîne aussi « haute-fidélité » soit-elle, ne créera jamais de musique là où il n’y en a pas. En revanche, elle sera capable d’en effacer là où il en existe.
T. HERVÉ - 06/2005
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Éditorial Juillet - Août 2006 N° 31 |
Autant expliquer ce que l’on voit peut se révéler facile, autant commenter ce que l’on entend devient assez vite laborieux. C’est même l’un des obstacles majeurs rencontrés par ceux qui, comme moi, se plaisent dans l’exercice délicat de la critique discographique.
En préambule, dans l’éditorial du mois dernier, je vous entretenais des difficultés à évaluer les propriétés techniques d’une prise de son. Comme tout domaine spécifique, celui-ci possède son propre jargon qui, depuis longtemps, est devenu familier à la plupart d’entre nous ; reste à savoir si nous l’utilisons correctement. En effet, par facilité, mais souvent par ignorance, ces mots sont fréquemment galvaudés et détournés de leurs vrais sens, tout en sachant que les termes utilisés par les mélomanes décrivent davantage les perceptions de l’oreille humaine que les phénomènes physiques sur lesquels ils reposent.
En parlant de musique, et plus précisément d’enregistrements, le premier mot qui vient à l’esprit, c’est celui qui caractérise les écarts entre les sons les plus faibles et les sons les plus élevés. La dynamique, car c’est bien d’elle dont il s’agit, est par définition, celle qui va donner vie à la musique, celle qui, combinée aux nuances (intensité relative d’une note ou d’un passage), va lui donner une âme. Ce ratio peut, pour le sujet qui nous intéresse ici, s’étendre du silence – quoiqu’il n’existe pas de silence absolu – aux 130 décibels des fff (triple fortissimo) d’un orchestre symphonique.
Bien évidemment, chaque instrument possède sa propre dynamique. Contrairement au clavecin, le piano est réputé pour l’ampleur de sa dynamique, cela le rendant particulièrement difficile à bien reproduire. L’écoute des Préludes de Chopin est, à ce titre, significative : qui d’entre nous n’a pas sursauté aux premières notes de l’opus 18, n° 16 alors que le n° 15 se terminait dans une discrétion sonore extrême ? Bien sûr, le niveau de crête maximal que l’instrument est capable de générer, l’enregistrement doit être capable de le restituer et, à travers lui, notre chaine haute-fidélité.
Cette perception acoustique de l’intensité du signal n’est malheureusement pas aussi simple que cela. En pratique, son appréciation se fait en relation étroite avec la fréquence et la durée du signal ; en effet, la sensation ne s’établit que progressivement et un son très bref, même s’il est intense, sera perçu comme faible. De plus, la dynamique est à rapprocher, mais à ne surtout pas confondre, avec les transitoires. Cette notion repose sur des variations rapides et importantes du niveau sonore à l’attaque et à l’extinction d’une note. Le respect des transitoires est pour une large part responsable de la qualité d’un enregistrement. De sa combinaison avec la dynamique naîtra une musique vivante et authentique, ou non. Le résultat d’une interprétation, du moins de l’idée que l’on s’en fait à travers le disque, repose donc, qu’on le veuille ou non, sur le ressenti lié à la qualité de son enregistrement.
Plus que tout autre style musical, la musique classique exige beaucoup de la dynamique. Aussi, si vous ne voulez pas à l’écoute du premier mouvement de la Cinquième Symphonie de Mahler traverser votre salon en courant pour vous jeter sur le bouton de volume de l’amplificateur après vous êtes pris les pieds dans le tapis et avoir tout renversé sur votre passage, la télécommande peut devenir un accessoire précieux !
T. HERVÉ - 07/2005
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Éditorial Septembre 2006 N° 32 |
Comme tous les ans, les mois d’été sont synonymes de pénurie discographique. Pas question pour autant que le mélomane assidu mette ses oreilles en sommeil. C’est pour lui la période idéale pour se repasser les disques qui l’ont marqués tout au long de l’année et pour qui, chaque mois plus encore, le combat pour occuper les tiroirs de nos lecteurs se révèle difficile face aux nouveautés fraîchement débarquées sur nos étagères.
Si vous faites partie de ceux qui refusent de rester enfermés, vous avez peut-être profité de ces circonstances pour assister à quelques concerts et, pourquoi pas, pour vous immerger dans l’ambiance si particulière des festivals. En effet, quel que soit notre lieu de domiciliation ou de villégiature, s’offre à nous une quantité impressionnante de festivals parés à satisfaire les goûts musicaux les plus divers. Toujours plus nombreux et quelles que soient leurs tailles, leurs exigences qualitatives ne se démentent pas ; les meilleurs figurent même parmi les manifestations saisonnières hexagonales les plus prisées, plusieurs acquérant une réputation d’envergure internationale. Ils ont d’ailleurs valu à la France sa renommée de « Terre de festivals ».
Les premiers festivals, de formes semblables à ceux que nous connaissons aujourd’hui, étaient organisés par les grandes cours européennes et remontent à la fin du XVIIIe – début du XIXe siècles. Chaque année, quelques ensembles se réunissaient pour honorer un artiste ou un compositeur ; le festival de Vienne qui célébra Haydn en 1811 en est un exemple. Soucieux de promouvoir leur discipline, il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour voir les artistes eux-mêmes monter de tels événements. C’est ainsi qu’avec l’aide de son mécène, Louis II de Bavière, Richard Wagner fonde en 1876 le célèbre Festival de Bayreuth. Inventé à la même époque, le phonographe de Thomas Edison contribuera (et de quelle manière) à sa considération et sa popularisation, qui seront renforcées quelques années plus tard par l’émergence de la radiodiffusion.
Dès lors, il fut possible d’écouter de la musique de chez soi, sans assister au concert. Alors, ces nouvelles technologies ne furent-elles pas à l’origine d’un effet pervers qui perdure de nos jours ? Doit-on privilégier la reproduction à l’original ? La passivité à l’engagement ?
Nos modes actuels de consommation privilégient bien évidemment le disque. Il ne faudrait pourtant pas négliger le concert qui demeure l’unique référence. Et s’il n’existe pas de bonnes salles de concert près de chez vous, heureusement, les festivals subsistent et deviennent même quasiment incontournables. Sans cesse à la recherche de solutions pour créer une animation propre à attirer une nouvelle clientèle estivale, c’est aussi de la volonté d’un département ou d’une région que naissent ces festivals. En plus de leur impact économique, ils constituent un atout exceptionnel pour leur développement culturel et social. En marge de ces critères socio-économiques, leur incidence sur la diffusion musicale a pris, ces dernières années, de plus en plus d’importance. Ils sont non seulement de remarquables vecteurs promotionnels pour les artistes confirmés, mais aussi de fameux tremplins pour ceux en quête de légitimité. Pour quelques genres musicaux, ils sont devenus de véritables laboratoires de création et de vulgarisation. En cela, ils sont des lieux de rencontres privilégiés entre les artistes et leur public et sont très souvent animés par un esprit de fête et de convivialité.
Pour le mélomane, prendre part à un festival équivaut bien souvent à une souscription qui dépasse le strict cadre musical. C’est une excellente manière de découvrir une région et de s’imprégner d’un site très souvent chargé d’histoire, sans oublier le contact avec sa population. Alors l’été prochain, faites honneur à la musique vivante et aux artistes qui la font vivre. Qu’il soit dédié à la musique baroque dans le Périgord, à la musique de chambre dans le Lubéron ou à la musique sacrée dans le Quercy, il se trouvera toujours un festival apte à satisfaire vos désirs les plus variés.
Je vous laisse y réfléchir, car c’est bien connu, dès que les vacances sont terminées, on pense déjà aux suivantes.
T. HERVÉ - 09/2006
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Éditorial Octobre 2006 N° 33 |
Lors du lancement du disque compact en 1981, ses promoteurs nous présentaient ce nouveau support comme quasiment inusable et inaltérable, lui prédisant même une durée de vie de plus de cent ans. Leur jugement reposait sur son principe de lecture optique, qui supprime le contact mécanique avec le support, lui évitant ainsi toutes détériorations dues aux frottements. Sur ce seul paramètre, les progrès sont en effet incontestables, mais, contrairement à ce qui fût annoncé à cette époque, l’expérience prouve qu’il reste un produit très fragile.
Techniquement, le disque compact est constitué d’une superposition de quatre matériaux différents. La base se compose d’une épaisseur de 1,2 millimètre de polycarbonate (résine synthétique résistante et très transparente) sur laquelle sont gravées les informations numériques qui sont recouvertes ensuite par une fine couche d’aluminium, elle-même protégée par un film de laque. Le tout se terminant par la pellicule d’encre de la sérigraphie où sont inscrits les titres et autres références. La plus grande partie étant constituée de matière plastique (polycarbonate), l’évaluation de son altération fût traitée comme un problème de dégradation spécifique aux polymères. La durée de vie du disque compact annoncée lors de sa parution, ne reposait que sur des tests de vieillissement accélérés dont les résultats n’étaient pas aussi significatifs que dans le cas d’un vieillissement naturel.
Largement dépendant des protocoles de la fabrication, sa tenue dans le temps dépend aussi pour beaucoup des facteurs environnementaux auxquels il va être soumis. Les conditions de stockage (température, lumière, humidité) et les manipulations inadéquates sont autant de facteurs déterminants pour la préservation de ses caractéristiques d’origine. Même si ces conditions sont strictement respectées, les processus de réactions chimiques sont ralentis, mais jamais stoppés sans compter que, comme pour tout produit laminé, on connaît mal les conséquences du vieillissement de chaque couche sur les couches mitoyennes.
Depuis quelque temps, certains médias se sont faits l’écho d’événements propres à inquiéter la communauté des discophiles. Leurs articles, au ton plus où moins alarmiste, s’appuient sur les résultats d’études scientifiques dénonçant un phénomène de « contamination » des disques compacts appelé « CD-Rot », la pourriture du CD ; quelques particuliers collectionneurs de disques attestant même que 15 à 20 % de leurs exemplaires les plus anciens étaient atteints par ce mal. De quoi vous causer des sueurs froides !
Les troubles se manifestent par l’apparition de points microscopiques dans les cas bénins, allant jusqu’à de petites perforations dans les cas les plus sévères. Localisés à l’intérieur du disque entre la surface de lecture et la couche de vernis, ils rendent toute lecture impossible. Pour le laboratoire Media Sciences du Massachusetts, cette dégradation est liée à une oxydation partielle de la couche d’aluminium, imputable à la porosité de la couche de laque censée la protéger. Un mal bien évidemment irréversible.
Cependant, à l’issu de leurs recherches menées sur les spécimens des collections de la Bibliothèque nationale de France, Alain Carou et Thi Phuong Nguyen se veulent particulièrement rassurants. Bien qu’ils aient pu effectivement constater quelques phénomènes de détérioration, leur rapport intitulé Contribution à l’étude du vieillissement des CD (voir ici) se veut plutôt rassurant et témoigne d’une bonne conservation générale de ce support.
Au-delà de toute explication technique, proportionnellement, la plus importante cause de dégradation des compacts disques est bel et bien due aux mauvais traitements que certaines personnes peu soigneuses leur font subir. Comme dans beaucoup de pathologies, les mesures prophylactiques restent le meilleur moyen de se prémunir d’éventuels dommages. Le respect de règles simples et peu contraignantes est la garantie de nombreuses années d’écoutes, en toute sérénité.
T. HERVÉ - 10/2006
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Éditorial Novembre 2006 N° 34 |
Contrairement à certaines idées reçues, les amateurs de musique classique ne sont pas tous des personnes démodées, en retard de deux générations. Aussi, à une époque où l’Internet occupe une place prépondérante dans notre environnement, une étude, menée par le magazine musical britannique Gramophone, établit que ceux-ci ne sont pas hermétiques aux nouvelles technologies, notamment aux outils de consommation en ligne et à l’utilisation des nouveaux lecteurs nomades. D’après leurs statistiques, 75 % d’entre eux sont des utilisateurs quotidiens d’ordinateurs, de lecteurs MP3 et de télévision numériques, alors que 20 % disent télécharger légalement de la musique sur Internet. Plus étonnant, ils sont un cinquième à admettre qu’ils préfèrent utiliser un baladeur pour leurs écoutes.
Face à cette (r)évolution comportementale, les maisons de disques se sont adaptées en proposant leurs catalogues sur des sites de vente en ligne. Pour quelques-unes d’entre elles, ce fut une réelle opportunité pour se sortir d’un marasme économique qui les menaçait à court terme de faillite. D’après les chiffres fournis par les représentants de l’industrie du disque, près de 15 % des ventes de disques de musique classique se font actuellement ainsi. Des chiffres en progression constante, estimés à 25 % à l’orée 2010, et qui pèsent chaque jour davantage sur les rares disquaires indépendants à avoir pignon sur rue.
Fort de cette prometteuse, voire salutaire expérience, et face à l’amplification du phénomène Internet, c’est le département « classique » d’Universal Music qui, le premier, proposa aux internautes le téléchargement de concerts donnés par de grands orchestres philharmoniques (New York et Los Angeles). Un peu plus tard, ce fut au tour de Warner Classics de lancer sa plate-forme de téléchargement. Moyennant environ 12 € pour une nouveauté, 5 € pour un disque « budget » ou 1,15 € pour un titre seul, le visiteur a la possibilité, en trois clics seulement, de recevoir directement sur son ordinateur les morceaux choisis pendant sa visite.
Jusqu’alors essentiellement à l’actif des majors, c’est maintenant au tour des maisons de disques indépendantes de monter au créneau. Après l’incontestable succès de son site de vente de disques en ligne (10 % de son chiffre d’affaires annuel), et des 200 000 coffrets vendus de son intégrale Mozart à moins de 100 euros, c’est le vent en poupe que le distributeur Abeille Musique annonce le lancement prochain de sa propre plate-forme de téléchargement. Avec ses 9 000 heures de musique accessibles en ligne, son ambition étant, selon son président Yves Riesel, de devenir « le premier site français de musiques spécialisées en France ».
Bien évidemment, l’audiophile mélomane ne trouvera pas la recette à son goût. Devant la baisse de la qualité technique des nouveaux formats musicaux (si l’on peut encore les appeler comme cela), c’est intransigeant qu’il continuera de chérir ses précieuses galettes argentées, mais attention, il ne doit pas pour autant se voiler la face. Au même titre que le fast-food s’est ancré dans nos habitudes alimentaires, la musique dématérialisée gagne chaque jour du terrain. Même si un acheteur de musique numérique sur trois déclare accorder une valeur supérieure à l’acquisition d’un CD par rapport au téléchargement d’albums en ligne, le phénomène est appelé à s’accroître. Il est au centre d’une bataille économique déjà largement engagée, grignotant toujours plus de parts de marché.
Avec l’apparition du Super Audio CD (SACD), on a pu croire un moment à un sursaut d’orgueil du support physique haute définition. Mais malheureusement pour nous, trop peu de labels ont voulu s’investir dans ce nouveau format. Seuls les labels indépendants se sont réellement engagés dans cette voie. Un manque d’enthousiasme évident qui, de fait, risque de conduire ce nouveau format de la maternité vers le service des soins palliatifs. Quel immense gâchis !
T. HERVÉ - 11/2006
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Éditorial Décembre 2006 N° 35 |
Ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre, le mélomane discophile est un être que la passion envahit. Il trouve à travers la musique un motif d’équilibre, et son bonheur ne s’exprime totalement qu’après avoir puisé en elle l’essence nécessaire à satisfaire son insatiable appétence musicale.
Lors de ses longues pérégrinations discographiques à travers les paysages variés de la musique classique, il arrive, de temps en temps, qu’il tombe en admiration devant un enregistrement sortant du lot, cela ayant comme effet de provoquer en lui une réelle excitation, et un insatiable désir de la partager.
Il se met alors à imaginer qu’il le fait découvrir à tous les gens qui l’approchent, tentant de convaincre ses amis, de persuader ses collègues de travail et, le soir venu, de captiver sa douce moitié. Pour promouvoir sa découverte, il userait de toutes sortes d’épithètes, son enthousiasme lui ferait même parfois inventer des adjectifs. Mais son entourage le regarde avec des yeux étonnés et soupçonneux. Dall’Abaco ? Caprices pour violoncelle ? Kristin von der Goltz ? Raumklang ? Le pauvre, a-t-il bien tous ses esprits ? Alors, conscient de son handicap et du chemin qu’il lui faudrait parcourir, c’est avec une gêne palpable que le mélomane, quelque peu désabusé, se ravise à partager son trésor. Pourtant, quel dommage ! Tant de beauté et de ferveur ! Et puis ces sonorités ! Quelle créativité ! Et cette prise de son !
C’est donc seul, calé dans son fauteuil favori, et après avoir chargé dans le tiroir de son lecteur de compact-discs le fameux objet, qu’il s’interroge sur les raisons de son isolement. Alors qu’il est banal de parler de musiques « légères », pourquoi est-ce plus difficile d’aborder la musique classique, et pourquoi le simple fait de l’évoquer le place-t-il d’emblée sur un piédestal auquel il ne saurait prétendre ?
Peut-être est-ce dû, en partie, aux termes qui la caractérisent dans l’esprit du profane. Systématiquement associée à des valeurs supérieures, cette musique appelée « grande » ou « savante », mais aussi parfois « sacrée », impose par ces substantifs une certaine forme de considération. En outre, et quelle que soit l’identité déclinée, son écoute repose pour beaucoup sur une expérience interne et qui ne peut se commenter qu’en ayant recours à un vocabulaire peu conventionnel, ce qui peut dérouter le néophyte. Mais son plus grand inconvénient ne réside-t-il pas dans son image de musique complexe et exigeante, réservée à une certaine classe sociale aux habitudes culturelles bien établies : une musique d’élite, génératrice d’ennui. Comme si chacun, en fonction de ses attributions sociales et budgétaires, devait être inféodé à un style musical censé lui correspondre. N’oublions pas que les étiquettes annoncent souvent le début des restrictions des libertés.
Bien sûr, les phénomènes de consommation ne sont pas étrangers à cette réputation. Comme tout achat, le disque est censé représenter une part de l’identité de son acheteur. Le secteur classique est, de ce fait, la cible des catégories socioprofessionnelles privilégiées. Cependant, au même titre que les acquéreurs de gros véhicules tout-terrain ne sont pas tous des baroudeurs, tant s’en faut, comment pourrait-on attribuer une totale crédibilité à ces comportements ?
Aussi, il serait temps que les mentalités changent. Qu’on arrête de présenter le mélomane féru comme un être égoïste et suffisant. C’est au contraire, bien souvent, un individu animé par un profond besoin de communiquer, mais qui réclame, par contre, juste un peu d’attention … et beaucoup d’écoute(s).
T. HERVÉ - 12/2006
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