Éditoriaux de l’année

2010  

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    Éditorial                                            Janvier 2010                                         N° 69

Traditionnellement, l’éditorial de janvier est pour moi l’occasion de revenir sur les meilleures réalisations discographiques de l’année passée, enfin – soyons précis – sur celles qui m’ont le plus enthousiasmé. La relative confidentialité de mon travail ne me permettant malheureusement pas de bénéficier des largesses des maisons de disques, ma sélection s’effectue, comme à l’accoutumée, à partir de mes propres acquisitions, les contre-exemples étant trop rares pour être mentionnés. Du coup, contrairement aux palmarès édités par ceux dont le statut favorise les bonnes grâces des éditeurs et des distributeurs, mes « Coups de cœur de l’année » ne sont pas vraiment représentatifs de la production annuelle globale – seul, je n’y suffirais pas. De plus, conformément aux impératifs que je me suis fixés, aux exigences artistiques s’ajoute une contrainte technique qui a pour effet de rendre ma sélection encore plus restrictive. Toutefois, même si la méthode qu’elle emploie lui interdit de prétendre à une totale impartialité, mal intentionné sera celui qui lui reprochera son manque d’honnêteté. Ne devant rien à personne – c’est bien là son plus grand avantage –, je prône l’intégrité à défaut d’intégralité.

Bien sûr, comme tout amateur qui s’investit dans une passion, le temps est un facteur primordial, parfois même davantage que l’argent. Acquérir autant de disques a un sens que si l’on se donne les moyens de les écouter pleinement. De cet exercice découle la fiabilité de la critique. Parmi les achats que j’ai effectués en 2009, c’est près d’une soixantaine de nouvelles références qui sont venues s’ajouter à celles déjà disponibles sur le site, portant leur nombre à plus de cinq cents. Faire un choix parmi autant de nouveautés m’a obligé à réécouter une bonne partie d’entre elles, non pas que je les avais déjà oubliées – leur fréquentation est quand même assez régulière –, mais bien à cause de l’homogénéité de leur niveau. Autant vous dire qu’en décembre, mes nuits ont été courtes. À Paul Valéry, qui disait : « Le goût est fait de mille dégoûts », je dirais qu’ici, il n’en était rien. C’est à vous maintenant d’en juger (voir ici).

Comme chacun le sait, en plus du 250e anniversaire de la mort de Haendel, 2009 célébra le bicentenaire de la mort de Haydn. Aussi, c’est fort logiquement que 2010 commémorera le bicentenaire de la naissance de Chopin, celui-ci ayant vu le jour dix mois après la disparition de l’illustre Autrichien. Parmi les interprètes susceptibles d’honorer la mémoire du compositeur franco-polonais, certains n’ont pas attendu que les dates se juxtaposent parfaitement pour commencer à dégainer. Ainsi, le mois dernier, Alain Planès – debussyste de cœur, mais chopinien dans l’âme –  nous a livré un album sensationnel que ma conscience m’interdit de passer sous silence. J’aurai donc le plaisir de vous le commenter ces tout prochains jours, en espérant vous retrouver aussi fidèles que vous l’avez été jusqu’à maintenant. Voilà un avant-goût discographique d’une année que nous espérons tous riche en événements du même genre, et que je vous souhaite, personnellement, toute aussi heureuse que musicale.

T. HERVÉ - 01/2010

    Éditorial                                            Février 2010                                         N° 70

À bientôt quatre-vingt-un ans, Bernard Haitink est ce que l’on peut appeler un cador de la baguette. Cinq décennies passées à diriger les plus grands orchestres de la planète, dont la moitié à la tête du prestigieux Royal Concertgebouw Orchestra d’Amsterdam, cela a de quoi vous forger une réputation ! Résultat, parmi les chefs en activité, c’est certainement l’un de ceux dont la discographie est la plus étoffée.

Assez tôt, ses penchants pour l’opéra lui permirent d’accéder à la direction musicale du Glyndebourne Festival Opera (1978-1988), puis à celle du Royal Opera House – le fameux Covent Garden – (1988-2002) et enfin, à celle de la Staatskapelle de Dresde (2002-2004). Mais c’est surtout au répertoire symphonique que l’on associe son nom. Et pour cause, le simple énoncé de la liste de ses enregistrements est à même de donner le tournis à tous ceux qui aspirent à la profession. Ainsi, les cycles qu’il a consacrés à Brahms, à Bruckner et à Chostakovitch se distinguent tout particulièrement de cette corne d’abondance. Toutefois, pour de nombreux mélomanes, c’est son investissement chronique dans l’œuvre symphonique de Mahler qui constitue la véritable figure de proue de sa brillante carrière.

Sans doute par ce qu’il considère qu’il ne nous a pas encore tout révélé de son attachement qui le lie à cette somme testamentaire – et alors qu’il fêtera cette année son quatrième anniversaire comme chef principal du Chicago Symphony Orchestra –, c’est avec la constance qui caractérise l’opiniâtreté que notre fringant octogénaire s’est lancé dans une nouvelle série d’enregistrements des dites symphonies. Tous sont réalisés lors de concerts donnés à domicile, à l’Orchestra Hall de Chicago.

Seulement, alors que ses précédentes réalisations figuraient en bonne place dans les classements des discophiles, il semblerait que la tonalité de ses dernières interprétations n’ait pas été totalement validée par l’ensemble de la critique. Jusqu’à aujourd’hui, seuls quatre volumes ont été publiés (les trois premières symphonies et la sixième), mais c’est suffisant pour comprendre que les options retenues par le chef néerlandais ne sont pas du goût de tous. À en croire les propos tenus par certaines signatures – toutes aussi avisées que respectables –, Bernard Haitink se serait laissé enfermer dans une sorte de routine. Pour schématiser, bien que les qualités de l’orchestre ne soient pas mises en cause, son interprétation serait plus devenue le fruit de l’habitude – d’où leur sentiment d’ennui –, que de celui de l’imagination – d’où leur sentiment de frustration. Plus inquiétantes sont les réserves relatives aux prises de son, celles-ci étant jugées comme faisant seulement partie de la moyenne.

Comme j’ai pu le manifester tout récemment à l’occasion d’un commentaire lié à la parution de la Symphonie n° 2 (voir ici), l’opinion que j’ai de cette série d’enregistrements va dans le sens inverse de la tendance générale. Là où certains assimilent la retenue à du détachement, je n’y vois que concentration et profondeur, son implication n’ayant d’égale que son application. Si parfois la sophistication musicale prend des allures de modestie, c’est ici le cas. Débarrassée de tout simulacre, son interprétation est saine et patiente. La gestion de l’orchestre est savante. La puissance des cuivres, l’impact des percussions, le soyeux des bois et la somptuosité des cordes établissent une relation plus charnelle que mécanique. D’obédience charismatique, elle dresse le portrait d’un Mahler plus humain (d’où les éventuelles faiblesses ?) que méthodique. Quant aux captations, rarement l’auditeur aura bénéficié de places aussi avantageuses. Toutes très habilement réalisées par Christopher Willis, à la condition de pousser un peu le volume (le niveau de sortie étant assez faible), elles procurent d’étourdissantes sensations de concert : douceur des timbres, impact quasi physique des passages fortissimo, grande dynamique, présence hallucinante et espaces gigantesques. Bref, le top en la matière.

Certes, il existe sans doute des versions plus indiquées pour ceux qui désirent aborder l’œuvre symphonique de Mahler, y compris parmi les anciens enregistrements de Bernard Haitink. Néanmoins, si, d’une certaine manière, ces nouvelles lectures n’apportent pas grand-chose à la discographie générale du compositeur, elles risquent d’apporter un supplément significatif à la discothèque du mahlérien de souche, celui pour qui la compréhension de l’œuvre passe nécessairement par la réflexion et par la spéculation de la pensée. L’inverse du dialogue de sourd, en quelque sorte. Pour un musicien, n’est-ce pas là le but à atteindre ?

Aussi, Monsieur Haitink, si je peux me permettre, ignorez tous les bavardages qui accompagnent vos récentes gravures de Mahler. Personnellement, j’ai rarement écouté cette musique avec autant d’appétit. Continuez donc sur la même lancée. Et puis, qui a dit que l’unanimité est un critère de vérité ? La concordance des opinions n’a jamais eu valeur de preuve. Jadis, tout le monde pensait que la terre était plate. Et pourtant !

T. HERVÉ - 02/2010

    Éditorial                                              Mars 2010                                          N°  71

Lors de l’écoute d’un enregistrement, la stéréophonie est sans doute la caractéristique qui frappe immédiatement le plus l’attention de l’auditeur. Si la nature des timbres, l’ampleur de la dynamique et l’étendue de la bande passante sont assez rapidement identifiables, la spatialisation est, à mon sens, la première sensation à venir flatter – ou blesser – l’oreille du mélomane.

Pourtant, et alors qu’elle fut saluée à la fin des années 1950 comme une prodigieuse avancée dans le domaine de la reproduction sonore, la véritable stéréophonie semble, de nos jours, intéresser de moins en moins de monde. Bien que, sans cesse, la propagande technico-commerciale de l’industrie musicale nous laisse miroiter d’éternels progrès, rares, sont aujourd’hui les enregistrements à pouvoir rivaliser sur ce terrain avec leurs aînés. Sans pour autant devenir les accessoires d’une doctrine passéiste, souvenons-nous seulement des fameux enregistrements Mercury ou RCA « Living Stereo » publiés durant les années 1960 – je ne parle ici que de l’effet stéréophonique. Réalisés à partir de seulement deux micros, trois tout au plus, ils offraient une image d’une profondeur surprenante, à laquelle bien peu d’enregistrements actuels – pour ne pas dire aucun – ne peuvent prétendre.

Mise à part une infime proportion d’ingénieurs du son encore fidèles aux préceptes de Clément Ader – le premier à avoir instauré, dès 1881, les principes de la restitution de sons à partir de deux micros – , les professionnels de l’enregistrement ont, depuis belle lurette, abandonné la captation sur deux canaux. À présent, les micros sont disséminés un peu partout dans les studios d’enregistrement à la recherche de la moindre miette sonore. De fait, les instruments ne sont plus considérés dans leur globalité, mais presque individuellement, les étapes de mixage et de mastering s’efforçant, ensuite, de construire autour d’eux une unification sonore la plus crédible possible. Certes, si le message a gagné en clarté, il a aussi, malheureusement, perdu en cohésion et en relief. Ainsi, en quelque temps, nous sommes passés des grands espaces légèrement brumeux de la stéréo authentique, aux paysages lumineux, mais étriqués, de la stéréo artificielle.

En outre, la tendance du « toujours plus » n’a pas uniquement corrompu le domaine de la prise de son. Le numérique autorisant la gravure de plusieurs canaux sur le même support, les enregistrements multicanaux sont devenus le nouvel outil de marketing d’une industrie toujours en quête de nouveaux arguments. Pour reproduire ces voies supplémentaires, les chaînes haute-fidélité sont soudainement devenues plus « ambitieuses ». Le son multicanal impliquant la volonté de reproduire un espace sonore à 360°, aux deux enceintes du système traditionnel sont venues se greffer une, puis deux, puis trois enceintes supplémentaires, auxquelles il convient d’ajouter un « subwoofer » – un haut-parleur uniquement chargé de diffuser les basses fréquences. Selon les protagonistes de ces systèmes 5.1, dits « Surround », la multiplication des canaux, procurerait un effet tridimensionnel, l’auditeur étant alors en immersion totale dans musique. Cependant, si la légitimité de la recherche d’un relief sonore accru peut, à elle seule, excuser les multiples tentatives expérimentales du passé (la quadriphonie, par exemple), la restitution musicale des systèmes multicanaux que l’on propose actuellement au mélomane est trop peu crédible pour lui permettre d’user d’autant d’indulgence.

Apparemment, la technologie « Surround » semble bien s’adapter aux contraintes qualitatives des salles de cinéma. Néanmoins, les démonstrations proposées lors des dernières éditions du Salon de la Hi-Fi et du Home Cinéma de Paris ont démontré, sans trop de peine, que ses applications domestiques ne sont pas de nature à satisfaire les revendications des audiophiles les plus exigeants.

Avec le Super Audio CD, la musique a incontestablement trouvé un support de très haute définition. Par contre, seule la couche contenant le signal audionumérique stéréo est réellement capable de la reproduire avec la cohérence qu’elle mérite. Si les briscards de la haute-fidélité ne sont pas prêts de se laisser prendre dans les filets tendus par les promoteurs d’artifices et les marchands d’illusions, force est de constater que de plus en plus de barrières se dressent sur le chemin qui les mène à la musicalité. C’est pourquoi, plus que jamais, la vigilance s’impose. Encourager la recherche, d’accord. Cautionner ses dérives, pas question.

T. HERVÉ - 03/2010

    Éditorial                                               Avril 2010                                          N°  72

La musique classique est le plus souvent perçue comme une musique réservée à un certain type d’individus. Certes, si l’on peut être tenté de rattacher son public à l’expression d’un contexte social et éducatif privilégié, en y réfléchissant bien, on s’aperçoit que l’une des causes de son exclusivité réside dans le fait que le profane qui souhaite y accéder ne dispose pas obligatoirement des clefs nécessaires à sa compréhension.

En effet, pour qui n’a pas eu la chance de bénéficier d’un environnement favorable à son apprentissage, la musique classique peut se montrer sous un angle difficile à appréhender. De même que l’on peut admettre qu’à une certaine époque les préjugés et les méthodes de communication ont pu favoriser la perplexité de ses candidats, aujourd’hui, logiquement, les outils d’information et une plus grande ouverture d’esprit devraient permettre à chacun d’approcher la musique classique de manière plus décomplexée. Mais est-ce vraiment le cas ?

En fait, si le mélomane initié a la chance de pouvoir trouver auprès des magazines musicaux un support de qualité, force est de constater que, hormis l’enthousiasmante pédagogie de Jean-François Zygel, le mélomane débutant est toujours aussi mal traité par les médias traditionnels. C’est donc tout naturellement qu’Internet est devenu, par opportunisme ou par la force des choses, une source d’informations de plus en plus fréquentée – l’ultime planche de salut –, et cela, bien sûr, au grand dam de la presse spécialisée.

Depuis maintenant plus de six ans qu’Audiophile Mélomane s’est glissé dans cet espace d’échange, vous avez été nombreux à me solliciter pour vous conseiller sur la bonne façon d’aborder la musique classique. Si, à ses débuts, la vocation du site était uniquement d’attirer votre attention sur des enregistrements exceptionnels, au fil du temps, vos requêtes répétées ont fini par me convaincre que je devais dépasser ce simple postulat.

C’est vrai que pour le néophyte qui désire se constituer une discothèque de qualité, la tâche n’est pas facile. À cela, je vois principalement deux raisons. La première tient à l’immensité et à la diversité d’un répertoire qui, s’il regorge d’œuvres accessibles, nécessite quand même, dans son ensemble, un minimum d’attention. La musique classique est à la portée d’un grand nombre de bonnes volontés, mais il ne faut pas sous-estimer sa capacité de dissuasion. Commencer par L’Art de la fugue de Bach ou par la Sonate en si mineur de Liszt peut être une erreur fatale. Pour mettre toutes les chances de son côté, on ne serait trop conseiller d’y aller progressivement. Trop nombreux sont ceux qui, livrés à eux-mêmes, se sont éloignés d’elle à tout jamais. De plus – c’est la seconde raison –, le débutant ne dispose pas encore des connaissances musicales nécessaires pour lui permettre de se faire un avis objectif de l’interprétation de l’œuvre qu’il envisage d’acquérir. Même bardé de récompenses, un disque ne correspond pas forcément à ses besoins. Lorsqu’elles sont interprétées sur un instrument d’époque, les Sonates pour piano de Mozart peuvent être magnifiques. Néanmoins, on orientera davantage le débutant vers une interprétation plus conventionnelle, sur un instrument moderne. Sans aide, son choix s’effectue souvent alors d’après le prix, la popularité des interprètes ou la réputation du label – dans le pire des cas, d’après l’illustration de la jaquette. Au petit bonheur la chance. Seulement, dans ce domaine, c’est un peu comme en cuisine : ce n’est pas parce que les meilleurs ingrédients sont réunis que le plat sera forcément réussi. Conditionnés par la réputation de la Deutsche Grammophon et par celle de son chef emblématique, Herbert von Karajan, fréquents sont ceux qui ont fait leurs premiers pas en compagnie de leurs enregistrements. Si, pour les symphonies de Brahms ce choix s’avère certainement comme l’un des plus judicieux, pour celles de Schumann, c’est commencer son entreprise sur des bases un peu moins solides.

Afin de répondre à l’appel de ceux qui en ont besoin, j’ai attribué à tous les disques du site une note permettant d’apprécier leur degré d’accessibilité et leur niveau de priorité dans la construction d’une discothèque digne de ce nom. En fonction de l’ajout de nouvelles versions d’œuvres déjà présentes, ces appréciations seront, si nécessaire, revues et actualisées. Bien sûr, même si j’y ai apporté beaucoup de soins, ce barème est à considérer avec toutes les réserves que la subjectivité de la musique impose. J’ose seulement espérer que cette modeste contribution permettra aux visiteurs les moins expérimentés d’aborder la musique classique plus sereinement. Autrement dit, sans fausse note.

T. HERVÉ - 04/2010

    Éditorial                                               Mai 2010                                            N° 73

Chaque disque est unique, et par conséquent, irremplaçable. Par exemple, aussi exceptionnel soit-il, jamais l’enregistrement des Pièces de clavecin de Frescobaldi par Enrico Baiano (Symphonia, 2003) ne se substituera à celui de Gustav Leonhardt (Philips, 1991). Malheureusement, dès lors qu’on le considère comme un bien de consommation, on doit forcément s’attendre à ce qu’un jour la maison de disques à laquelle il appartient décide de le supprimer de son catalogue, tout simplement parce qu’il ne représente plus l’intérêt commercial escompté. Ainsi, combien d’enregistrements célèbres se sont vu changer de statut, passant de celui d’objet de désirs à celui de victime de la loi du marché ? Si de telles disparitions n’ont pas de conséquences sur l’auditeur ordinaire, elles peuvent, par contre, plonger les mélomanes obsessionnels que nous sommes dans le désarroi.

Partant de là, vous êtes plusieurs à me manifester votre déception après avoir lu, sur mon site, le commentaire élogieux d’un enregistrement, depuis devenu indisponible, et ensuite, à me demander dans quel sens orienter vos recherches. Si l’on admet que les disques que je vous présente sont, à travers leurs valeurs intrinsèques, de ceux auxquels on se réfère, avec un peu de chance, dans un futur plus ou moins proche, ils seront réédités, à moins que leur niveau de confidentialité ne les fasse directement passer à la postérité. Les véritables références artistiques n’attirent pas forcément les masses ; l’inverse serait même plutôt vrai.

Avant l’apparition de l’Internet, la seule solution qui s’offrait au mélomane en peine consistait, au gré de ses déplacements, à prospecter les boutiques de disques d’occasion dans le but d’y dénicher la perle rare. Bien que très excitante, cette activité avouait rapidement ses limites, surtout lorsqu’on la compare avec les possibilités que nous offre, aujourd’hui, le réseau informatique mondial. De nos jours, grâce à cette prodigieuse invention, on peut, en quelques clics seulement, étendre le champ de ses recherches à la planète tout entière. Traquer un disque rare deviendrait presque un jeu d’enfant.

Pour se faire, l’un des premiers réflexes sera de visiter les boutiques en ligne de disques d’occasion. Avec environ 15 000 références en stock – uniquement de musique classique – et un système d’alerte personnalisée, la Chaumière à Musique est le site soldeur par excellence. Cependant, lorsque l’on recherche l’introuvable, ArkivMusic est certainement ce qui se fait de mieux en la matière. Racheté en 208 par Steinway Musical Instruments Inc., il offre un système de recherche et un indice de performance vraiment impressionnant, avec, en plus, la possibilité de réaliser, à la demande et à l’unité, la reproduction conforme à l’original de certains CD épuisés, cela, bien évidemment, dans la plus grande légalité.

Toutefois, le marché du disque d’occasion n’est pas du seul ressort des professionnels. Accessibles à tous, eBay et PriceMinister se sont vite imposés comme d’incontournables passerelles entre vendeurs et acheteurs, notamment entre particuliers. Outre des prix généralement très intéressants, leur réussite s’appuie sur des taux de fréquentation et sur une qualité de services propres à satisfaire tous les partis. Pour terminer, comment ne pas mentionner Amazon qui, tout en étant l’un des plus grands spécialistes mondiaux de l’e-commerce, favorise l’hébergement des offres d’occasions émanant aussi bien des professionnels du disque que des particuliers ? Disposant d’un réseau international, les chances de découvrir son bonheur sont immenses, tant en neuf qu’en occasion. Là aussi, les prix peuvent être très avantageux.

Jadis impensables, toutes ces solutions sont devenues, au fil du temps, les outils idéaux pour rendre encore plus dynamique notre passion pour la musique enregistrée, tout en lui faisant baisser son coût. Celui qui sait chercher sur la Toile s’apercevra vite que ce ne sont pas les affaires qui manquent. De plus, elle offre le moyen de se débarrasser de CD que l’on n’écoute plus, leur vente servant alors à financer de nouvelles acquisitions. On peut ainsi, pour le plus grand bonheur de la communauté, prolonger sans limites la vie de disques condamnés à l’oubli. Mais l’immortalité n’a de sens que si elle peut être vécue. En effet, ces conditions très favorables peuvent mener certains discophiles à un état d’euphorie qui les transforme en acheteurs compulsifs, leur faisant perdre ainsi toute notion d’intégrité musicale. Acheter, c’est bien, mais encore faut-il écouter. Aussi, sachons dominer notre passion. Gardons la tête froide et ne tombons surtout pas dans les travers que dénonçait le grand sémiologue français Roland Barthes, à savoir : « Ce que le public réclame, c’est l’image de la passion, non la passion elle-même. »

T. HERVÉ - 05/2010

    Éditorial                                               Juin 2010                                           N° 74

Si j’écris que la musique peut être tout, sauf insignifiante, je pense que vous partagerez mon avis. Comme moi, vous savez qu’infailliblement ses fréquences et ses vibrations provoquent sur les individus qui y sont soumis des effets qui agissent sur leur comportement et leur santé, que ce soit en bien ou en mal. Bien évidemment, concernant le genre musical qui nous motive ici, j’imagine que vous serez toujours d’accord avec moi pour considérer sa portée comme essentiellement positive.

Il y a déjà de cela quelques années, en partant du principe que nous ne sommes pas les seules créatures sur terre à être dotés de récepteurs auditifs sensibles, certains scientifiques se sont mis à réfléchir sur l’action que pouvaient avoir les résonances harmoniques sur les animaux. Tout en sachant que ceux-ci n’entendent pas les mêmes sons que les humains, posée autrement la question était de savoir si nos amis les bêtes présentaient ou non une sensibilité à la musique.

Sans entrer dans les détails, si l’on se réfère simplement aux résultats des travaux entrepris, force est de reconnaître que le sens musical n’est pas uniquement le privilège de l’homme. Respectant un protocole complexe, les chercheurs auraient ainsi fini par démontrer que la musique était capable de modifier le comportement de tous les animaux. Cependant, toujours selon ces études, il conviendrait de faire une distinction entre les animaux de la ferme et les animaux domestiques. Par exemple, si sur le premier groupe, la musique classique avait pour conséquence d’augmenter leur taux de productivité (plus de lait pour les vaches et davantage d’œufs pour les poules), sur le second, la musique de Vivaldi et de Beethoven suffisait à les rendre calmes et sereins.

Comme cela, à en croire la science, l’homme ne serait pas le seul à bénéficier des largesses de la volonté céleste. Autant dire qu’après de telles révélations, l’ego du mélomane fondamentaliste en prenait un sacré coup. Et encore, pour lui le pire restait à venir, car comme chacun le sait, dans toute réponse que la science apporte préfigure le début d’une nouvelle interrogation. Aussi, à peine avait-elle réussi à lui faire boire la tasse que déjà elle s’employait à le noyer dans ses désillusions.

C’est ainsi, les biologistes sont des individus curieux. À peine découvrent-ils que la musique à un impact sur les espèces animales, et déjà ils se demandent si son action ne pourrait pas s’étendre aux espèces végétales. Après tout, n’a-t-on jamais entendu dire que de parler aux plantes contribuait à les rendre plus belles et plus vivaces ? De même, ne parle-t-on pas de l’influence positive de la musique classique sur les plantes ? N’oublions pas que dans les civilisations ancestrales, la musique et les chants accompagnaient très souvent les rituels destinés à favoriser la croissance des cultures.

Depuis cette prise de conscience, l’idée selon laquelle l’effet de la musique pourrait avoir un retentissement sur les molécules a fait son chemin, tant et si bien qu’actuellement, plusieurs dizaines d’agriculteurs, de maraîchers, d’arboriculteurs et d’horticulteurs l’utilisent en France pour traiter leurs cultures. Là également, le constat est édifiant. Suivant le mode de diffusion, la sensibilité de la plante, la périodicité de la diffusion sonore, la puissance sonore et le choix des musiques – la musique classique ayant, là encore, fait ses preuves –, la stimulation de la synthèse des protéines peut occasionner des récoltes de 10 % à 50 % supérieures. On trouve même maintenant dans le commerce des CD spécialement dédiés au bien-être des plantes.

Attention ! Qu’on ne s’y méprenne pas ! Avec ce court exposé, je n’ai pas pour intention de mettre sur le même plan le mélomane, le dindon et l’épi de maïs, mais bien de souligner, comme j’en ai désormais pris l’habitude, la dimension extraordinaire et les effets inattendus de la musique classique. Et sans doute un peu aussi pour contrarier la frange la plus narcissique de ses partisans.

T. HERVÉ - 06/2010

    Éditorial                                        Juillet - Août 2010                                   N° 75

Que nous soyons audiophiles ou mélomanes – quand ce n’est pas les deux à la fois –, notre présence sur ce site témoigne de notre vif intérêt pour les enregistrements de musique classique. Discophiles acharnés, c’est avec une certaine distance – pour ne pas dire un certain amusement – que nous observons les débats qui entourent la mise en œuvre de la loi contre le téléchargement illégal. Toutefois, nous ne devons pas oublier que toutes les menaces qui pèsent sur les artistes et les créateurs peuvent avoir des incidences plus ou moins importantes sur notre passion. C’est pourquoi, à intervalles réguliers, je vous entretiens des « avancées » d’une loi qui perd, chaque fois, un peu plus de terrain. Je m’explique.

Selon les récents communiqués de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI), la loi « Création et Internet » est enfin prête pour son lancement. Dès septembre, les premiers messages d’avertissements devraient être adressés aux internautes ayant commis un délit de téléchargement illégal. Cependant, si cette annonce est de nature à satisfaire les victimes du piratage sur Internet – du moins, la frange de ceux qui continuent à croire en elle –, paradoxalement, elle a aussi pour effet de faire se gausser ceux-là mêmes qu’elle est censée condamner. Pourquoi ? Tout simplement, parce qu’à en croire les défenseurs des droits et des libertés sur Internet, si la loi est effectivement prête, elle n’est pas du tout fonctionnelle.

Pour ceux qui auraient manqué un ou plusieurs épisodes de ce long feuilleton politico-médiatique, il est peut-être utile de rappeler que la loi Hadopi 2 (une extension de la loi DADVSI et du projet Hadopi 1) vise spécifiquement, via le contrôle d’une autorité publique indépendante, à protéger les droits d’auteur sur Internet. Toutefois, contrairement au projet initial, ce n’est plus le téléchargement illicite qui est condamné, mais uniquement le fait de ne pas avoir mis en place les barrières nécessaires pour l’empêcher. En fait, les nouvelles dispositions de la loi exigent de l’internaute qu’il protège son accès internet par l’intermédiaire de « moyens de sécurisation », cela afin de lui rendre impossible tous téléchargements illégaux. Autrement dit, on ne sanctionne plus l’acte lui-même, mais la négligence qui a permis de le réaliser. 

Pour décourager les fraudeurs, la loi a prévu un système de sanctions graduelles. Dans un premier temps, le contrevenant reçoit un mail de la Commission de protection des droits (CDP) de l’HADOPI l’informant que tel jour, à telle heure, sa ligne internet a été prise en flagrant délit de téléchargement illégal, et qu’il lui appartient dorénavant de veiller à sécuriser sa ligne afin de se protéger des récidives. Si, dans les six mois qui suivent, l’internaute recommence, l’organisme de surveillance procèdera à l’envoi d’un second message, identique au premier, mais pouvant être accompagné d’une lettre en accusé de réception. Au cas où, dans l’année qui suit le deuxième avertissement les mesures n’auraient pas été suivies d’effets, la justice pourrait être saisie. Selon le caractère de la « négligence », la loi prévoit une amende de 1 500 € et/ou une suspension d’un mois maximum de la connexion internet, les éventuels services de télévision et de téléphonie étant, quant à eux, conservés. Durant ce temps, la souscription d’un nouvel abonnement est interdite.

Dès le départ, le législateur a insisté sur l’aspect pédagogique et dissuasif de la loi Hadopi, plutôt que sur son côté répressif. Le 23 juin dernier, lors de son audition par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée Nationale, la présidente de la CDP, Mme Mireille Imbert-Quaretta, soutenait l’originalité du mécanisme prévu par le législateur en assurant tacitement qu’elle lui permettait suffisamment de liberté pour ne pas surcharger l’administration judiciaire. De la CDP dépendrait l’opportunité des poursuites.

Toutefois, dans cette affaire, le législateur semble ne pas avoir pris totalement en compte l’article 40 du Code de procédure pénal qui dit que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Concrètement, cela veut dire que chaque fois que la CDP prend connaissance d’une adresse IP en infraction, elle doit la transmettre au parquet. Le non-respect de cette procédure l’exposant, elle-même, à de lourdes sanctions. Or, actuellement, c’est 50 000 adresses IP frauduleuses qui sont journellement signalées par les ayants droit ! À l’heure où la justice voit ses effectifs se réduire, la situation est, pour le moins, ubuesque. Cela fait dire au secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats, Laurent Bedouet, que « cette loi est tout simplement une loi de communication, virtuelle, inapplicable. Des mots, rien que des mots ».

Pendant ce temps, les pirates du web prennent les devants. Eux semblent, manifestement, un peu mieux s’organiser. En attendant d’hypothétiques sanctions, ils ont déjà trouvé la parade, soit en utilisant des technologies de transferts invisibles, soit en basculant vers des réseaux anonymes.

Alors qu’elle est supposée faire peur, telle qu’elle se présente aujourd’hui, la loi Hadopi aurait de quoi faire rire si les crédits nécessaires à son fonctionnement n’étaient pas aussi élevés. Tandis que la polémique enfle autour des salaires de ses dirigeants, on estime à 10 millions d’euros son budget pour l’année 2010. Un comble pour un organisme qui n’a encore rien produit ! Dans l’état actuel des choses, on constate que les législateurs sont au bord du gouffre. Aussi, le moment ne serait-il pas venu pour eux de faire un pas en avant ?

T. HERVÉ - 07/2010

    Éditorial                                          Septembre 2010                                    N° 76

Il y a un peu plus d’un an, victime d’un secteur en pleine difficulté, disparaissait l’un des principaux acteurs de la presse dédiée à la musique classique. Subissant de plein fouet la crise du marché du disque, Le Monde de la Musique succombait à la baisse conjointe de la fréquentation de son lectorat et de ses annonceurs.

Au-delà du « choc » provoqué par un tel événement, on peut raisonnablement se demander si cette triste affaire n’est pas la conséquence d’un mal plus profond, à savoir un désintérêt du public pour la musique classique et, d’une manière plus générale, pour les autres formes classiques de culture. Je m’explique.

Si, à partir des années 80, l’avènement du disque compact a permis à la musique classique d’élargir le cercle de ses consommateurs, trente années plus tard on s’aperçoit que finalement la proportion de ses disciples n’a pas vraiment évolué, pas plus d’ailleurs que celle du public des salles de concert, lequel, me semble-t-il, ne va pas en rajeunissant. Malgré les succès affichés par certains festivals ou d’autres « Folles Journées », tout pousse à croire que la musique classique peine à renouveler son auditoire, pire encore, que celui-ci s’essouffle. Comme quoi la démocratisation n’engendre pas forcément la prospérité.

Pour une grande partie, on peut imputer ce désengagement à la modernisation de notre société et aux bouleversements que cela a eu sur les habitudes culturelles d’un grand nombre de ses citoyens. À partir du moment où l’on considère que le niveau actuel d’éducation a conduit à un resserrement des écarts de ses différentes catégories sociales, on peut facilement comprendre pourquoi depuis quelques décennies, les barrières qui séparaient les formes populaires et les formes savantes de sa culture se sont autant levées. De plus, à sa démocratisation, le développement de l’industrie a ajouté la banalisation de sa consommation, la propagande commerciale faisant le reste. Sous l’action combinée de la technologie et de la communication, la culture a vu son champ d’activité s’élargir considérablement, bousculant au passage les repères préalablement établis. De cela, on ne peut que se réjouir. Seulement, force est de constater que cette avancée a eu principalement pour effet de privilégier le développement des productions modernes, cela au détriment des arts traditionnels que sont le théâtre, le ballet, l’opéra, la musique classique, etc. De toute évidence, l’appel lancé par la culture populaire a été le plus fort. Ainsi, il est moins improbable de croiser le premier violon de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris à un concert de Bruce Springsteen que le batteur de Bruce Springsteen à une représentation du Lac des Cygnes.

Les frontières qui séparaient jadis les différentes formes de cultures sont donc désormais ouvertes. Si, autrefois, la fréquentation des arts traditionnels permettait de se distinguer socialement, aujourd’hui l’éclectisme semblerait être le nouveau moyen choisi par certains pour afficher leurs différences. Quant à dire si c’est par curiosité ou par ouverture d’esprit… Espérons que ce ne soit pas l’expression d’une lassitude ! Espérons aussi que la proportion d’incursion sur les terres culturelles voisines ne se transforme pas plus tard en migration massive !

T. HERVÉ - 09/2010

    Éditorial                                            Octobre 2010                                       N° 77

Depuis l’apparition des premières chaînes stéréo nées pour satisfaire aux exigences du disque microsillon, les liens qui unissent la technologie et la musique n’ont jamais cessé de s’intensifier. Durant les premiers temps, le mariage de l’art et de la science a donné naissance à plusieurs beaux projets. Dans les années 1950 et 1960, les recherches menées par des entreprises telles que Fisher, Scott, Dynaco, McIntosh et Marantz aboutirent à la réalisation de produits remarquables. À cette époque, les fabricants se battaient dans un seul but : servir les intérêts de la musique. C’était l’âge d’or de la haute-fidélité américaine.

Par la suite, la technologie évolua dans les proportions que nous connaissons aujourd’hui, suscitant du même coup l’intérêt d’un nombre incalculable de constructeurs. Cependant, plus leur développement devenait important et plus le doute s’installait quant à leur crédibilité.

En effet, à les écouter, tous veulent nous faire croire qu’ils sont les détenteurs d’une seule vérité : la leur. Les uns argumentent qu’il n’y a que les amplificateurs à tubes qui sonnent vrai, tandis que les autres ne jurent que par le transistor MOSFET ; les partisans de l’analogique clament haut et fort que le vinyle n’est pas mort pendant que les apologistes du numérique se perdent en conjectures quant à l’avenir de leurs formats ; on pourfend la hi-fi traditionnelle au profit du home-cinéma ; on déplore la dématérialisation de la musique tout en continuant de vilipender le CD. Et puis, il y a l’interminable défilé des adeptes des technologies irrationnelles : les marchands d’illusions. Au risque de vendre leur âme au diable – c’est toujours une vente de gagnée –, ceux-là s’emploient à nous faire croire que l’accessoire audio est devenu un élément essentiel au bon fonctionnement d’un système, l’émotion étant à ce prix... le plus souvent à prix d’or.

À compter autant de prétendus défenseurs de la musique, on peut, à juste titre, se demander combien d’entre eux sont fidèles à l’esprit des pionniers de leur profession. Telle qu’elle se présente à nous actuellement, la haute-fidélité semble avoir outrepassé ses fonctions initiales. Elle s’est laissée entraîner dans l’exubérance de ses opinions, alors que la musique attendait seulement d’elle qu’elle participe au respect de ses priorités. À vouloir trop en faire, elle a du coup perdu une partie de notre confiance.

De la même manière, dans leur quête de perfection et par leurs démarches hasardeuses, nombreux sont les audiophiles à avoir perdu le sens des vraies valeurs musicales. Pour eux, et peut-être aussi afin de permettre à la haute-fidélité de reconquérir tout ou partie de ses lettres de noblesse, il est peut-être utile de rappeler ici quelques règles fondamentales.

Tout d’abord – pour un mélomane, cela équivaut à une évidence –, on doit veiller à ne choisir que de la musique excellente ; le coût d’un système audio n’étant pas négligeable, il ne doit se justifier que par une sélection musicale sérieuse et raisonnée. Vient ensuite le choix de l’interprétation. Ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre, les différences dans l’interprétation d’une même œuvre peuvent nous faire basculer de l’amertume à l’extase : la finesse des sonorités, l’habileté des phrasés et le transfert des émotions sont autant de signes distinctifs que d’occasions pour une chaîne hi-fi d’exprimer ses capacités à les reproduire. À ce stade, la qualité de la prise de son prend toute son importance. C’est la garantie d’une perception optimale de la musique et de son interprétation. Une autre règle de bon sens, c’est celle qui impose de disposer d’une acoustique la plus adaptée possible à une écoute harmonieuse : la nature des timbres, la douceur du message et la netteté des attaques seront, là aussi, des repères indiscutables. Enfin, évoquons le choix du matériel en disant que celui du revendeur chez lequel il s’opèrera est tout aussi important. Généralement, il se reconnaît par le fait qu’il parle davantage de musique avec ses clients que de technique. Là encore, c’est un signe qui ne trompe pas.

Mises bout à bout, ces mesures devraient permettre à bon nombre de systèmes audio de regagner en fidélité. Mieux, elles devraient surtout permettre à la musique de retrouver sa place initiale, celle qui l’installe au-dessus de toutes autres formes de considérations.

T. HERVÉ - 10/2010

    Éditorial                                          Novembre 2010                                      N° 78

L’achat d’une chaîne haute-fidélité de qualité est toujours un événement dans la vie d’un mélomane. Généralement, c’est l’aboutissement d’un projet qui aura été étudié de manière approfondie. Fort des informations glanées ça et là, et après s’être largement imprégné des écoutes comparatives menées par un ou plusieurs revendeurs, un jour il finit par se trouver en possession de l’objet de ses rêves. Malheureusement, comme de trop nombreux néophytes essentiellement préoccupés par les aspects purement matériels, celui-ci néglige les mesures à envisager quant à sa mise en œuvre.

En effet, peu le savent, le fonctionnement d’un système audio est largement subordonné à l’attention que l’on accorde à son installation. Aussi, l’assemblage superficiel de quelques éléments – aussi bons soient-ils – ne suffit pas à obtenir de cet ensemble le maximum du potentiel que l’on serait en droit d’attendre de lui.

Une fois le matériel acquis, il faut bien le poser quelque part. Le meuble est donc le point de départ de toute installation. Trop souvent traité à la légère, son choix n’est pourtant pas sans conséquence sur le rendu sonore. Dans un domaine aussi pointu que celui de la haute-fidélité, le meuble ne doit donc pas être considéré comme un simple support, mais bien comme un maillon faisant intégralement partie du système. En effet, la réalité atteste qu’au-delà de ses apparences esthétiques et pratiques, il participe de manière significative à son bon fonctionnement.

Avant tout, un bon meuble doit se montrer aussi stable que rigide. De plus, il doit être le plus neutre possible : sa fréquence de résonnance ne devant pas se situer dans le spectre audible. Dans le même ordre d’idée, chaque objet possédant sa propre fréquence vibratoire, il doit contribuer à l’amortissement et à l’évacuation des vibrations résiduelles générées par les électroniques situées en son sein, que ce soit par l’action d’un système de découplage inféodé à chacune de ses tablettes (pointes ou cônes intercalaires), ou par la nature même des matériaux qui le constituent – les deux pouvant très bien se combiner. N’oublions pas non plus sa capacité à se protéger des perturbations provenant de l’extérieur en s’isolant le mieux possible du sol. Outre d’évidentes vertus protectrices, le meuble a aussi pour effet d’éloigner suffisamment les éléments les uns des autres. À cela, il y a deux avantages : l’un étant de favoriser la circulation d’air autour d’eux (dissipation thermique), l’autre étant de réduire les interférences électromagnétiques liées à leur alimentation.

Bien évidemment, on doit veiller à ce que les appareils y soient correctement disposés. Les sources étant particulièrement sensibles aux résonnances, elles doivent être placées dans la partie haute du meuble – ce qui répond aussi à une logique de commodité –, les plus éloignées possible de l’amplificateur. Son transformateur, généralement de grande puissance, étant la plus grande cause de vibration, il sera placé tout naturellement le plus bas possible. En raison de son poids, cela permet de baisser le centre de gravité de l’ensemble.

Comme on peut facilement l’imaginer, de nombreux fabricants se sont emparés du problème. Ainsi, le commerce propose une solution adaptée à chaque configuration. Selon le nombre et la taille de ses appareils à recevoir, tout le monde peut y trouver ce qu’il cherche, dès lors qu’il est prêt à y investir une certaine somme d’argent. Nés à partir des technologies et des matériaux les plus élaborés, certains modèles très haut de gamme peuvent ainsi voir leur prix atteindre 4 000 ou 5 000 euros. Heureusement, en dehors des gammes aux prix plus réalistes, il existe toujours la possibilité de le construire soi-même, le bois (contre-plaqué multiplis de forte épaisseur) s’avérant, dans ces cas-là, comme l’un des matériaux à privilégier.

Quels que soient les moyens adoptés, il est reconnu que plus la chaîne est de qualité, et plus l’importance de son support se fait sentir. Devoir « supporter » quelque chose que l’on a tant espéré ne serait-il pas devenu l’un des plus cruels paradoxes de la haute-fidélité ?

T. HERVÉ - 11/2010

    Éditorial                                          Décembre 2010                                      N° 79

Avec la disparition récente d’Alain Corneau, la France a perdu l’un de ses plus grands réalisateurs et la musique, l’un de ses plus ardents défenseurs. Grâce au prodigieux succès de son film Tous les matins du monde, il restera aux yeux et aux oreilles de tous, celui qui remit la viole de gambe au goût du jour et, dans une plus large mesure, la musique baroque, en les révélant à un public qui leur était jusqu’alors totalement étranger. Audiophile passif et mélomane actif, homme de cinéma et ami des musiciens, il assuma sa passion pour l’image tout en militant pour le son. Ne serait-ce que pour cela, eu égard à la tendance de notre époque qui accorde davantage de crédit au visuel qu’au sonore, nous lui sommes mille fois reconnaissants.

Aussi, en évoquant son souvenir, je ne peux m’empêcher de penser à la façon dont le son est communément considéré au cinéma, et de le déplorer. En effet, bien qu’étant un cinéphile de bas étage, il me semble que, d’une manière générale, les réalisateurs marquent une trop grande différence de traitement entre l’image et le son. Si le cinéma est d’abord un art d’image, le son est l’incontournable auxiliaire de ses représentations. Là où l’image émeut, le son sublime : changez le son, et alors vous changez sa nature. Mais peut-être est-ce là, tout simplement, la manifestation des travers de mes passions ? Aussi, c’est seulement sur la pratique d’un niveau d’écoute trop élevé que je m’étendrais aujourd’hui. Considérant le nombre important de spectateurs à s’en plaindre, cette fois il ne s’agit pas d’une lubie, mais bien d’un véritable malaise.

Tout d’abord, il faut admettre que depuis que les salles de cinéma se sont équipées d’équipements numériques, les conditions de reproduction se sont considérablement améliorées. Ensuite, il faut savoir que si les exploitants de salles ont la capacité technique d’agir sur le niveau sonore d’un film, ils n’en ont pas la totale prérogative. En effet, la sonorisation d’un film répond à des critères bien précis. Réalisée en auditorium durant les étapes de postproduction, cette opération de mixage a pour rôle d’attribuer à chaque scène du film un volume bien précis en fonction des effets et des sensations recherchés. Normalement, le niveau d’écoute est prévu pour être le même en auditorium de mixage qu’en salle de cinéma, chaque canal étant calibré à un niveau de 85 dB – valeur pour laquelle la courbe de perception auditive de l’oreille est la plus rectiligne. Combiné au nombre de canaux, le niveau en salle atteindra au maximum 105 dB. C’est le niveau de référence. Dès lors, on peut facilement comprendre que toutes les modifications ultérieures du volume auraient pour conséquence d’altérer non seulement les intentions artistiques du réalisateur en modifiant la dynamique générale du film, mais aussi le confort d’écoute en devenant soit trop faible, soit trop fort, ce dernier cas étant peu probable.

Sachant que le seuil de douleur de l’oreille se situe aux alentours des 120 dB, tout cela pourrait être parfait. Malheureusement, il n’en est rien, car avant d’atteindre le seuil de douleur, il y a le seuil de désagrément. Certes, celui-ci n’est pas mentionné dans la théorie des logarithmes de l’excitation et il est très difficile de lui donner une valeur. Toutefois, les mélomanes pointilleux que nous sommes ont depuis longtemps appris à l’éviter :  en disposant de bonnes conditions d’écoute, en choisissant de bons enregistrements et en veillant à ce que ceux-ci soient reproduits à un juste niveau sonore. Ce dernier point est essentiel. Je suis conscient qu’écouter un disque de clavecin tranquillement installé sur son canapé ne répond pas au même désir que celui d’assister à la projection de je ne sais quel film à grand spectacle sur un écran d’une base de quinze mètres. Cependant, pour l’un comme pour l’autre, le postulat n’est-il pas le même : celui de prendre du plaisir ? En cela, je pense que le cinéma manque trop souvent à son devoir.

T. HERVÉ - 12/2010